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Onclusive, la direction revient à la charge : 218 postes menacés

Après un premier PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) avorté fin 2023, Onclusive s’apprête à dévoiler un nouveau plan de licenciement le 15 janvier prochain. L’information a été communiquée aux syndicats lors d’une réunion ce lundi 8 janvier : 218 postes pourraient être amenés à disparaître au sein de l’entreprise afin de “préserver sa compétitivité en France”. Les élus du personnel, de leur côté, remettent en cause la gestion économique de la filiale française par Onclusive.
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Crédits : @Onclusive, Twitter (21/12/2023)

2024 a démarré comme a terminé 2023 pour l’intersyndicale d’Onclusive (Solidaires, CFE-CGC et Force Ouvrière) : sur les chapeaux de roue. Le premier épisode du plan social, lancé en septembre 2023, s’est avéré particulièrement calamiteux, en raison notamment du prétexte avancé par l’entreprise : le remplacement des salariés par un logiciel d’intelligence artificielle – masquant un recours accru à l’externalisation vers Madagascar. Le tollé médiatique ainsi que les remontrances de la Drieets (Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) a finalement poussé le PDG Rob Stone à suspendre les négociations fin octobre. 

La nouvelle version du plan social, qui sera présentée le 15 janvier au personnel d’Onclusive France, devrait ressembler à s’y méprendre à la première, du moins sur le fond : jusqu’à 218 postes supprimés, dont neuf vacants, sur les 383 existants en France. La direction a également évoqué la création de 52 postes, dont 26 de consultants et 12 d’analystes chargés du contrôle sur les prestations automatisables. Huit postes vacants devraient également être pourvus. Une avancée par rapport au projet initial qui prévoyait la création de seulement 23 postes. Au total, 149 employés pourraient perdre leur emploi, soit 40% des effectifs. Les départs devraient débuter à partir du mois de juillet 2024. Le plan prévoit également une réorganisation complète des équipes en 3 types de service, par le biais de laquelle elle espère « d’importants gains de productivité » : le premier devrait s’occuper des clients dits “Premium”, environ 170, qui bénéficieraient d’un consultant dédié, le second des revues de presse “automatisables” d’environ 380 clients, tandis que le dernier fournirait 1600 clients de manière totalement automatisée. 

Sur la forme, la “V2” du plan social est en revanche légèrement édulcorée : dans son communiqué, l’entreprise de veille médiatique évoque “un durcissement significatif de son environnement concurrentiel et une évolution technologique sans précédent de ses métiers”, sans faire de référence directe à l’intelligence artificielle. Le motif de “mutation technologique” qui avait été adopté pour mettre en place le premier PSE a été abandonné au profit de celui de “sauvegarde de la compétitivité”. Ce motif, prévu à l’article L1233-3 du Code du travail, s’apprécie “au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national”. Il revient donc aux dirigeants d’Onclusive de prouver qu’une menace avérée pèse sur le secteur d’activité de son groupe, sans quoi les licenciements économiques ne seront pas valables. À ce sujet, le groupe affirme que « la sauvegarde de la compétitivité d’Onclusive France a toujours été au cœur de [son] projet de transformation ».

Les choix économiques du groupe en cause

En interne, la gestion économique de la filiale française par le groupe Onclusive interroge. Celui-ci était né en 2022 du rachat de diverses entités du secteur de la tech par le fonds d’investissement américain STG. “D’après ce qu’ils [la direction, ndlr] nous ont présenté, il n’y a pas un sou”, explique Marion*, élue syndicale, “ils ont planté un tableau terrifiant de la concurrence, des marchés, etc…”. Le communiqué d’Onclusive exprime également cette inquiétude : “les importants déficits constatés en 2023 risquent de s’accumuler et s’accroître dans les années à venir mettant en péril les activités de l’entreprise en France”. D’après le rapport d’un cabinet d’expert-comptable sur la situation de Reputational Intelligence France (RIF, le nom de la filiale française située à Courbevoie) en 2022, celle-ci a réalisé un résultat d’exploitation de 1 114 000€ en 2022, un montant faible au regard du chiffre d’affaires estimé à environ 60 millions d’euros. Surtout, le rapport du cabinet souligne que son bilan financier est miné par plus de 12 millions d’euros de partage des frais du groupe Onclusive, via des refacturations à différentes sociétés immatriculées au Luxembourg et à Jersey. Ces refacturations correspondent à plusieurs dépenses, parmi lesquelles on trouve la constitution du groupe, la mise en place de ses outils et infrastructures propres, ou encore la mutualisation d’abonnements, de services de “cloud”, etc… Les experts ont souligné lors de la réunion extraordinaire du CSE le 23 novembre 2023 que le montant de ces frais de groupe était inhabituel et représentait “une charge extrêmement importante, qui conditionne la rentabilité de la société”. Des propos contestés par la direction, qui affirme que « ces refacturations, internes à Onclusive, sont essentielles et assurent le bon fonctionnement de RIF et sa position sur le marché. RIF ne peut pas fonctionner de manière autonome, sans les systèmes et l’infrastructure de production financés par ces refacturations ».

Les délégués syndicaux soupçonnent un traitement injuste de la société courbevoisienne RIF vis-à-vis des autres filiales. Au regard de son chiffre d’affaires, elle contribue à hauteur de 36% aux frais de groupe, une part comparable à celle de Precise Media Monitoring, filiale anglaise d’Onclusive. Cette dernière présente pourtant une balance de refacturation nette positive de 5,5 millions d’euros. Autrement dit, elle reçoit du groupe 5,5 millions d’euros de plus que ce qu’elle lui verse. “On est la vache à lait, on nous ponctionne”, proteste Marion*. L’entreprise se défend en expliquant que « pour l’exercice 2022, il s’avère que Precise Media a reçu le remboursement d’une sur-contribution par rapport à son chiffre d’affaires. A l’inverse, RIF avait sous-contribué par rapport au chiffre d’affaires 2022« . 

Au quotidien, la difficulté de la situation financière se fait, en revanche, bien sentir. Outre les dettes et impayés de RIF, elle a par exemple servi de prétexte à l’annulation des NAO (négociations annuelles obligatoires) auprès des salariés, une décision justifiée selon la direction par la perte début 2022 d’un gros client, la Commission européenne. L’intersyndicale conteste cette version, la fin du contrat étant intervenue selon elle à posteriori de l’avortement des négociations.

Une situation chaotique

De manière générale, l’ambiance n’est pas à l’apaisement au sein du CSE.  “C’est vraiment très très pénible”, confie Marion*, “mais bon on ne lâche pas l’affaire”. Outre la difficulté rencontrée par les experts pour obtenir de nombreux documents, un certain nombre de questions restent entourées d’un grand flou à l’approche du lancement de la nouvelle procédure d’information-consultation. D’abord, sur la présence ou non d’une enveloppe allouée au financement du PSE et le cas échéant, le montant de cette enveloppe. Plusieurs affirmations contradictoires ont été avancées par le management sur le sujet au cours des réunions du CSE. D’autre part, les comptes sociaux 2022 ont beaucoup tardé à être certifiés, l’assemblée générale des commissaires aux comptes ayant été reportée à au moins 4 reprises. D’après la direction du groupe, cet important retard serait causé par l’insuffisance des moyens dédiés à la production des comptes et une transition avec Kantar défaillante. Toujours est-il que cela affecte, selon le cabinet d’expert, “la capacité du CSE à rendre un avis éclairé sur la situation économique et financière 2022 de RIF”.

À cela s’ajoute un climat social nettement dégradé. Les mois de tensions et d’incertitudes autour du projet de plan social ont poussé un certain nombre d’employés à quitter l’entreprise : “ils négocient individuellement des départs et ils partent d’eux-même parce qu’ils n’en peuvent plus, ou ils se mettent en arrêt de travail de façon régulière”, décrit Marion*. Signe de la grogne populaire, les salariés s’apprêtent à assigner leur PDG Rob Stone pour insulte. À l’annonce du premier PSE, ce dernier avait en effet tenté une analogie entre l’état d’esprit positif de son chien et la mentalité nécessaire à l’entreprise dans cette période de transformations.

*Le prénom a été modifié.

Mis à jour le 12/01/2024 – à la demande de l’entreprise Onclusive, une partie du texte a été modifiée / ajoutée concernant : 

  • les chiffres de suppression et de création de postes ;
  • la différence entre les contributions de RIF et Precise Media aux frais de groupe ;
  • la certification des comptes sociaux.

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