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Valdunes: histoire d’une entreprise stratégique avec des salariés sur siège éjectable

Le 4 mai dernier, l’unique actionnaire chinois de Valdunes annonce mettre fin aux financements dans les usines de Trith-Saint Léger (Valenciennes) et Leffrinckoucke (Dunkerque). Les salariés débrayent immédiatement et engagent un blocage des usines. Lundi 22 mai, un accord a été trouvé entre la CGT et la direction. Les 345 salariés ont retrouvé leur poste de travail mardi matin, après avoir obtenu une prime de 1050 euros par mois durant les 4 mois à venir, ainsi que le paiement des dix jours de grève.
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Un savoir-faire français unique

Valdunes est le dernier producteur français de roues, d’axes et d’essieux à usage ferroviaire. Fournisseur des roues équipant les TGV, spécialiste des métros, tramways et plus généralement du matériel roulant, l’entreprise est une nouvelle fois menacée. Depuis 175 ans, les salariés se succèdent pour maintenir ce savoir-faire made in France qui s’est exporté dans près de 70 pays. Aujourd’hui, toujours 45% de son chiffre d’affaires est réalisé grâce à l’exportation.

Pourtant, malgré son travail de qualité, l’entreprise n’est pas rentable et peine à remplir son carnet de commande. De 120 000 roues fabriquées à Leffrinckoucke dans les années 90, seules 56 000 sont forgées en 2019. Maxime Savaux, président CGT du CSE de Valdunes témoigne: “On a une bonne partie de chômage partiel chez Valdunes (40% des effectifs). On a un manque d’approvisionnement en acier et un carnet de commandes dans les axes assez faibles. Dans le secteur roue, on a de l’activité pour tourner jusqu’à la fin de l’année.” Selon la CGT, les usines doivent produire 60 000 roues pour être à l’équilibre, mais seules 22 000 sont prévues pour l’année 2022. Ludovic Bouvier, responsable régional de la CGT métallurgie ajoute: “dans le Nord, on est la première région, et de très loin, qui fabriquent le plus de trams et de métros, on a des pôles d’excellence sur Valenciennes, des pôles de toutes sortes, mais on peut avoir des pôles d’excellence de ce qu’on veut, si on y fabrique plus rien, ça ne sert pas à grand chose…”

Mis sous pression par Bercy, la direction de Valdunes et la CGT ont trouvé un accord “acceptable”. Les salariés ont retrouvé leurs postes mardi 23 mai pour fournir un service minimum et essayer de livrer les commandes aux derniers clients de Valdunes. Selon la direction, il reste encore 22 millions d’euros de matériel à fabriquer, un moyen aussi pour attirer un potentiel repreneur. Les chinois, toujours propriétaires de l’usine, continuent de fournir l’usine en acier, mais plus pour très longtemps.

La plus grande roue du monde a été forgé par Valdunes, une fierté pour les salariés

Un premier redressement judiciaire en 2013

En 2007, Valdunes, leader mondial des essieux de train à grande vitesse, se rapproche de l’allemand Gutehoffnungshütte (GHH), spécialisé dans les essieux pour tram et métro. Ce dernier ne dispose pas de forge et se fournit chez Valdunes depuis plusieurs années. A ce moment-là, le fleuron français ne connaît pas la crise, et enregistre un chiffre d’affaires de 130 millions d’euros. Mais GHH rencontre de nombreuses difficultés et le mariage ne se passe pas comme prévu.

En octobre 2013, Valdunes demande son placement en procédure de sauvegarde face à la diminution de son activité. En cause, la baisse globale du marché notamment dans un contexte de crise économique persistante, et surtout, la concurrence accrue d’entreprises à bas-coûts. Alors que l’entreprise réalise un chiffre d’affaires de 112 millions d’euros en 2011, il chute à 86 millions en 2012.

Quelques mois plus tard, en mars 2014, Valdunes est placée en redressement judiciaire par le Tribunal de Commerce de Valenciennes. Six offres de reprise sont présentées, allant de la reprise totale de l’enseigne, à une reprise partielle avec des suppressions de postes. C’est finalement l’offre d’un groupe métallurgique chinois, MA-Steel, qui est retenue. Avec un dossier prometteur, le groupe promet de conserver l’ensemble des effectifs, CDD, contrats professionnels et intérim compris, soit 487 salariés.

Qui est MA-Steel?

MA-Steel est une société d’État créée en 1958 en Chine. Considérée à l’époque comme l’une des cinq sidérurgies de taille moyenne de la République populaire de Chine, elle est également le premier fabricant chinois de roues. Elle connaît une croissance continue et entre en bourse au début des années 90. 

Le groupe chinois détient 80% des parts de marché des roues ferroviaires en Chine, et dispose de trois filiales internationales, en Australie, à Hong-Kong et en Allemagne. Il affiche en  2012 un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros et emploie 41 220 salariés à travers le globe. Il concentre ses financements dans la réhabilitation et l’achat de mines. Le groupe est alors détenu par le gouvernement de la Province d’Anhui. En 2019, la China Baowu Steel Group, dont l’actionnaire majoritaire est l’État chinois  acquiert, gratuitement, 51 % de MA-Steel Group. Baosteel Group détrône ArcelorMittal en 2020 et devient le numéro un mondial de la production d’acier brut.

En 2014, lorsque  MA-Steel reprend Valdunes, un plan d’investissement de 50 millions d’euros sur cinq ans est présenté. Cet argent doit servir à moderniser l’outil, à conserver l’ensemble des salariés et même à implanter un centre de recherche et développement pour les produits ferroviaires. Le mariage doit permettre à MA-Steel d’acquérir un savoir-faire unique, et à Valdunes une place dans un groupe sidérurgique d’envergure mondiale avec une ouverture à l’internationale. Valdunes prend alors le nom de MG-Valdunes.

MA-Steel, un ami qui vous veut du bien ?

Peut-on parler d’un rachat salvateur? Oui… et non. Car depuis son acquisition par MA-Steel, la situation des usines Valdunes se dégrade. Malgré les promesses de l’actionnaire chinois de faire bénéficier MG-Valdunes de “la solidité financière” du groupe qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 13 milliard d’euros, et “d’augmenter [la] capacité, d’améliorer la productivité, […] et d’asseoir la position de MG-VALDUNES en tant que fournisseur incontournable [de] matériel roulant ferroviaire,”, les 345 salariés se trouvent toujours, neuf ans après le rachat, sur un siège éjectable.

Derrière ses faux airs de sauveur, que s’est il passé ?

Après le rachat en 2014, l’illusion a été de courte durée. Le groupe chinois ne s’en cachait pas, le rachat de Valdunes était un coup pour récupérer la technologie à grande vitesse, et les brevets qui vont avec. Malgré un plan d’investissement de 50 millions d’euros, le reste n’a pas suivi. Pour Ludovic Bouvier, MA Steel s’est complètement désengagé car “la trésorerie était tellement à plat que ces “investissements” ont servi à recapitaliser l’entreprise pour la garder à flot.”  Mais les nouvelles machines promises par les investisseurs chinois ne sont jamais arrivées. “Ils n’ont rien fait pour développer ou moderniser l’usine. L’outil est dans un état lamentable”.

Maxime Savaux, expliquait en mars 2022 à nos confrères de Libération le ridicule de la situation. A cause de la guerre en Ukraine, les usines de Valdunes récupèrent une commande destinée à son concurrent ukrainien Interpipe. Sur les 10 000 roues et les 5 000 essieux commandés, seuls 600 roues et 300 essieux seront produits intégralement sur les sites français. Les autres seront forgées et assemblées directement en Chine avant de traverser le globe pour recevoir à Valenciennes l’unique pièce manquante, une boîte permettant la rotation de l’essieu. Il en va de même pour les autres commandes. 

Parallèlement, MG-Valdunes perd progressivement sa clientèle traditionnelle au profit de ses concurrents européens et chinois : l’espagnole CAF, l’italien Lucchini ou encore le tchèque Bonatrans. Au premier plan de ce désengagement de certains clients, la SNCF, dont l’État est actionnaire à 49%, contribue  activement à l’affaiblissement de ce “potentiel industriel”. Il y a 10 ans, la société ferroviaire française commandait 45 000 roues et 5000 essieux par an, soit 80% des commandes de Valdunes. Aujourd’hui, ces chiffres ont fondu avec seulement 3 500 roues et 3 essieux.

Valdunes: le grand oublié du projet de réindustrialisation gouvernemental

Condamnés à la fermeture par l’annonce de MA Steel du 4 mai, les salariés cherchent des solutions pour garder leur emploi et maintenir une production stratégique en France.  

La nationalisation? Cette solution est préconisée par les salariés de Valdunes qui souhaiteraient voir l’État entrer dans le capital. Cependant cette option a été balayée d’un revers de main par le gouvernement. Le 9 mai 2023, Roland Lescure, Ministre délégué chargé de l’industrie, a déclaré son intention de trouver “un investisseur stratégique, et non financier […], qui redressera tout ou partie de l’activité.“ L’état compte donc sur des investisseurs privés pour sauver une activité qui œuvre indirectement pour des services de bien commun comme les transports publics, ce même état qui n’hésite pas à subventionner fortement des entreprises privées voisines comme ArcelorMittal à quelques kilomètres de là qui perçoit des dizaines de millions d’euros. 

Depuis un an et demi, la CGT, seul syndicat présent à Valdunes, a alerté à plusieurs reprises les pouvoirs publics des problématiques rencontrées dans leur usine. M. Lescure a fini par accueillir les représentants du personnel. Mais les réponses apportées restent les mêmes: “nous sommes européens avant tout et nous fabriquons déjà des roues et des essieux en Europe.” Une action du gouvernement dans le cas Valdunes semble d’autant plus délicate que cela pourrait déclencher des tensions directes avec le gouvernement chinois qui contrôle MA-Steel via Baosteel.

Discours d’Emmanuel Macron le 12 mai 2023 lors d’une visite d’une usine d’aluminium à Dunkerque

Le drame de Valdunes tombe mal pour le gouvernement alors qu’il lance son grand projet de réindustrialisation.  Le chef de l’Etat est justement venu présenter ce projet le 12 mai dernier à Dunkerque dans un discours où il a insisté sur la nécessité de réindustrialiser pour “redonner des projets et des emplois partout dans le pays”. Emmanuel Macron se félicite d’avoir “déjà signé sur la période 2022-2030, la création de 16 000 emplois industriels” dans la région mais Valdunes ses 345 employés et son savoir français en matière d’équipement ferroviaire semblent passer à la trappe. Une attitude d’autant plus surprenante que le secteur est déjà stratégique, voire incontournable dans le contexte de dérèglement climatique et de décarbonation. Ludovic Bouvier renchérit: “tant qu’il y a de la lutte, il y a de l’espoir. Mais là, je commence à devenir pessimiste. Ça devient très compliqué”.

Le cas de Valdunes est symptomatique de la situation industrielle dans le bassin dunkerquois. Métallurgie et chimie sont des secteurs qui connaissent de gros problèmes en termes d’investissements financiers et humains. La fermeture de Valdunes et le sacrifice d’un transport ferroviaire complètement made in France posent des questions plus profondes de stratégie industrielle et écologique, la place et le développement des transports en communs étant cruciaux. L’accord trouvé lundi 22 mai laisse quatre mois à un potentiel investisseur pour se présenter. Certaines rumeurs annoncent un industriel italien. D’ici-là, les 345 salariés sont prêts à poursuivre le combat. “Ils sont près à tout entendre pour survivre. L’adversaire en face, on le connaît. On sait comment ça marche.” termine Ludovic Bouvier. Pour l’heure, ils attendent de pied ferme la visite de M. Lescure à Trith-Saint-Léger vendredi 2 juin.

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