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Travailleuses sans-papiers, au croisement des discriminations

Selon le ministère de l'Intérieur, il y aurait environ 600 000 personnes en situation irrégulière sur le territoire français. Victimes de discrimination, de difficultés d’accès à l’emploi, laisser-pour compte par les institutions françaises, ces dernières sont confrontées à de multiples difficultés lorsqu’elles demandent une régularisation. Totalement invisibilisées, au sein d’une population déjà déshumanisée, les femmes sans papiers cumulent à la dureté de leur situation, des problématiques spécifiques au genre.
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Manifestation pour la régularisation des femmes sans papier

La difficile émancipation par le travail

En France c’est notamment grâce au  travail que les personnes sans-papiers peuvent espérer une régularisation. Les conditions sont détaillées dans la circulaire Valls qui dispose qu’il faut pouvoir justifier : d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche ; d’une ancienneté de travail de 8 mois sur les 24 derniers mois ou de 30 mois sur les 5 dernières années ; d’une ancienneté de séjour significative, qui ne pourra qu’exceptionnellement être inférieure à cinq années de présence effective en France.

Si la loi s’applique de manière indifférenciée pour les hommes et pour les femmes, les spécificités du terrain rendent la régularisation parfois plus difficile pour les travailleuses. En effet, ces dernières occupent très régulièrement des emplois de service et d’aide à la personne. C’est ce qu’on appelle le travail du « care », fortement féminisé car les femmes auraient, selon la croyance, naturellement plus d’appétence et de compétences pour ces domaines. Dans ces secteurs d’activité, les employeurs sont souvent des particuliers. En raison des petits contrats proposés dans ces branches, ces femmes vont multiplier les employeurs afin d’atteindre le nombre d’heures nécessaires pour obtenir leur régularisation. Leurs lieux de travail sont donc bien souvent dispersés dans l’espace, les horaires décalés, le travail à temps partiel légion, payé au noir et au rabais.  

S’ajoute à cela de plus fortes difficultés d’accès à l’emploi pour les travailleuses sans papiers que pour leurs homologues masculins. Selon les données de La Cimade : « le taux d’emploi des immigrées de 18 à 50 ans est de 58 %. 17 points au-dessous de la population native féminine alors que le taux d’actifs chez les immigrés masculins est, lui, très proche de celui des natifs ». Pour cause, les domaines qu’elles occupent offrent moins de stabilité à l’emploi et la concurrence est plus rude. 

 

Ces corps de métiers présentent un autre désavantage, leur moindre accès à la syndicalisation. Les travailleurs sans papiers sont majoritairement concentrés dans les emplois de la restauration ou du bâtiment, milieux dans lesquels les syndicats sont présents. Pourtant, ils bénéficient déjà de très peu de visibilité. Pour les femmes, le constat est plus dur encore. Les emplois qu’elles occupent les isolent souvent, ne leur permettant pas de s’organiser pour faire collectivement entendre leur voix. Leurs mobilisations sont rares, ainsi elles bénéficient moins d’une possible « régularisation de groupe ». 

Pour Marie et Lise, membres de l’association Femmes de la Terre œuvrant pour l’accompagnement juridique des femmes étrangères, notamment victimes de violence, le risque d’abus de la part des employeurs est lui aussi plus fort. Elles déclarent « qu’être à la fois en situation irrégulière et femme sur le marché du travail expose à plus de chance de se trouver en situation d’abus, de harcèlement, qu’il soit sexuel ou non ». Si les femmes ont généralement du mal à dénoncer les comportements sexistes de leurs employeurs, cela est d’autant plus difficile pour celles qui se retrouvent en situation irrégulière. En effet, elles ne font pas confiance aux forces de l’ordre qu’elles considèrent plus comme une menace que comme une aide potentielle. Au fait de cette situation, les employeurs profitent de la faiblesse de ces femmes et de leur manque de reconnaissance par les institutions. 

Régularisation pour raisons familiales, là encore des problématiques propres

 La loi française permet également une régularisation basée sur « la vie privée et familiale ». Il n’existe pas une position de plein droit sur ces demandes, la préfecture va effectuer des contrôles et peut se permettre de les refuser. Si encore une fois la loi est la même pour tous, les femmes sont plus vulnérables face à cette situation. Selon Marie et Lise, elles se retrouvent « dépendante de leur employeur, et de la même manière de leur conjoint et de leur statut de mère ». Le risque, du « chantage aux papiers, de la dépendance administrative, des violences administratives ». Si elles sont victime de violences conjugales, les femmes en situation irrégulière auront, encore une fois, plus de mal à dénoncer ces comportements. Par peur de devoir quitter le territoire en cas de divorce, elles demeurent dans des situations qui les mettent en danger. 

En 2021, Gerard Darmanin demandait pourtant aux préfets de régulariser les femmes sans-papiers victimes de violences conjugales. Mais sur le terrain, aucun changement. Les associations regrettent ce manque de considération : « Le renouvellement du titre de séjour quand elles sont séparées de leur conjoint, même en cas de violence, est très compliqué. Il faut démontrer des plaintes, des procédures pénales en cours… ». Qui plus est, cela ne concerne que le premier renouvellement. Par la suite, les femmes doivent à nouveau justifier de la légitimité de leur présence sur le territoire. Un manque de considération regrettable, d’autant plus que ces femmes « sont poussées vers cette situation car la régularisation par le travail est très compliqué ». En moyenne, 30 000 régularisations sont accordées chaque année, 7000 pour motifs professionnels et 23 000 pour raisons familiales. 

 

Autre difficulté ayant trait à leur vie familiale, c’est le manque de moyen pour faire garder leurs enfants lorsqu’elles trouvent un emploi. Selon le Groupe Femmes du Collectif de soutien aux personnes sans-papiers rennais (CSPSP 35), les nouvelles arrivantes sont souvent seules avec leurs enfants. Plus sujettes à l’isolement, il est moins aisé de s’intégrer dans un réseau de garde et ainsi libérer du temps pour une éventuelle activité professionnelle. Même lorsqu’elles n’arrivent pas seules, le manque de moyen dû aux bas-salaires et à l’impossibilité de toucher certaines prestations sociales ajoutent une pression supplémentaire pour les mères de famille. A. témoigne ainsi : « Mon mari a eu des problèmes au travail en Géorgie et nous sommes arrivés (en France) en décembre 2021. Je travaille uniquement dans deux familles sous-contrats CESU. Mon mari ne travaille pas, moi je travaille 6 heures par semaine. J’ai deux enfants, une fille de 13 ans et un fils de 9 ans. J’ai peur de déménager car je n’ai pas le droit de vivre en France. Nous logeons à l’hôtel 115, toute la famille dans une seule chambre. » Pourtant, ils aimeraient pouvoir s’intégrer au monde du travail « Je veux que mon mari et moi ayons un travail, c’est très important pour la famille. Mais il est difficile de trouver un emploi en France quand on est sans-papiers ».

Loi immigration : la spécificité féminine encore écartée

Depuis quelques mois, les manifestations pour protester contre l’adoption de la loi immigration se multiplient. Dans les rangs de ces mobilisations, on retrouve des associations féministes. Quelles sont donc les spécificités de cette loi pour les femmes en situation irrégulière ? Justement, aucune. Les mesures ne leurs accordent pas plus de droits, la question n’est même pas abordée. Pour Marie et Lise : « Notre association fait beaucoup de sensibilisation et de plaidoyer sur le fait que la loi en général ne protège pas les femmes étrangères victimes de violence ou en situation de dépendance, et la loi immigration n’a rien fait de plus, elle n’a rien dit ». Si on ne connaît pas encore tous les détails de son application, il est cependant possible de regretter par exemple que « les métiers en tension seront majoritairement à destination des hommes, très peu de métiers de service sont dans la liste ». De façon plus globale, cette loi vient toucher les droits de tous les étrangers, les mettant dans des situations encore moins confortables. Les femmes, en tant « qu’étrangers les plus vulnérables, sont plus touchées par ces problématiques que les hommes ».

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