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Abandon de la voiture thermique, les salariés français laissés pour compte ?

Le 8 juin 2022, le Parlement européen a pris l’engagement d’interdire la vente de véhicules neufs, essence ou diesel, à l’horizon 2035. Alors que pour certains, l’électrification totale du parc automobile européen représente la seule solution de décarbonation à court terme, elle signe également la fin de l’ère des moteurs thermiques, et une période délicate pour les 220 000 travailleurs du secteur en France. Entre urgence écologique et casse sociale, quel impact aura la marche forcée vers le tout électrique pour l’emploi ?
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Premier bloc de l’usine ACC à Billy-Berclau Douvrin inauguré le 30 mai 2023

Hauts de France: un nouveau bassin d’emplois pour l’électrique?

C’est un pari total” en convient Xavier Bertrand, président des Hauts de France. Région historique de la fabrication automobile, elle est en pleine reconversion et tend à devenir un pôle incontournable de fabrication de batteries pour les véhicules électriques. Trois projets majeurs doivent s’y implanter afin de répondre à une demande croissante, du moins c’est ce qu’espère une partie de la branche. Les projets présentés ont reçu des investissements publics et privés massifs, et pourtant, la voiture électrique peine à se démocratiser et subit la rude concurrence des constructeurs sur le marché européen.

Même si le coût de fabrication des batteries tend à diminuer – selon une infographie Le Monde, le prix d’une batterie Lithium- ION en 2010 revenait à 1.000$/ KWh et devrait chuter à 100$/ KWh en 2030, le secteur reste grandement dépendant de l’international pour l’importation du lithium, indispensable à la confection de batteries

La nouvelle vallée de l’électrique se compose pour l’instant de trois gigafactories en cours de lancement, situées à Douvrin Billy Berclau, Dunkerque et Douai. Un quatrième projet porté par la startup grenobloise Verkor doit voir le jour à Dunkerque

Trois sites en développement et des milliards de l'état

Douai: Envision AESC 

Le groupe sino-japonais Envision AESC a noué un partenariat avec Renault pour produire des batteries à destination du nouveau pôle “Renault Electricity” (regroupement des usines de Douai, Ruitz et Maubeuge, soit 5000 emplois), d’où doivent sortir 400.000 véhicules électriques par an. Le groupe a promis la création de 1000 emplois dans son usine. La Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé son intention d’investir 450 millions d’euros, et le groupe sino-japonais 2 milliards.

 

Dunkerque: ProLogium Technology

Le groupe taïwanais ProLogiumLe doit s’installer à Dunkerque. Fort d’un investissement de 5,2 milliards d’euros (dont 1,5 milliards de subvention de l’Etat) d’ici 2030 pour la construction de l’usine, l’ambition du projet est la création de 3 000 emplois et la production de 500.000 à 700.000 voitures électriques.

 

Douvrin Billy-Berclau: Automotive Cells Company – ACC 

Le 30 mai dernier se tenait l’inauguration en grande pompe de la première usine à Douvrin Billy-Berclau. La gigafactory ACC, équivalent à 8 terrains de foot, est détenue par un consortium Stellantis, TotalEnergie et Mercedes Benz. Le gouvernement y voit le symbole de la ré-industrialisation avec une production qui permettrait d’équiper 500 000 véhicules électriques par an. Une annonce loin de faire l’unanimité parmi les travailleurs du secteur alors que le premier bloc peine à remplir son carnet de commande. 3 milliards d’euros, dont 1,2 milliards d’aides publiques françaises et allemandes sont prévues, ainsi que la création de 2000 emplois et la production de 500.000 batteries.

La casse sociale

Une cinquantaine de projets similaires fleurissent un peu partout en Europe. Un phénomène qui inquiète grandement les salariés de la branche thermique qui voient leurs usines fermées sans pour autant retrouver un emploi dans les vestiges de l’industrie thermique ou du côté de l’électrique. Et pour cause, plusieurs études annoncent qu’il faudrait 40% de main d’œuvre en moins. La construction d’un véhicule thermique nécessite l’assemblage de 200 à 250 pièces contre une cinquantaine pour l’électrique.

Alors que l’Union européenne a pris un engagement fort en décidant l’arrêt en Europe de la production de moteurs thermiques d’ici 2035, la course effrénée qui s’était engagée marque un temps d’arrêt. Volkswagen a annoncé en novembre 2023 mettre en pause sa production de véhicules électriques. Carlos Tavares, PDG de Stellantis, a dores et déjà ouvertement fait part de ses doutes quant au passage brutal au tout électrique, en prévenant “des conséquences sociales majeures”. Les chantiers des gigafactories tournent au ralenti. L’usine de Douvrin, dont le sort est scellé avec une fermeture annoncée courant 2025, doit être rasée afin que les deux autres blocs du site d’ACC soient construits. Mais Fabrice Jamart, de la CGT PSA Douvrin doute, car des 3 000 emplois promis à l’annonce de la construction, “il serait maintenant question d’un millier”.  

Certes un accord pré-électoral a été signé par FO, CFTC et CFE CGC entre Stellantis Douvrin et ACC afin de permettre des transferts de salariés entre les usines voisines. Seulement, cet accord ne garantit que le transfert de 400 postes maximum. C’est pour cela que la CGT et la CFDT ont refusé de signer, demandant “l’automaticité des transferts”

 

 

Un grand nombre va se retrouver sur le carreau, des centaines de personnes se sont déjà faites refuser et seront donc licenciées à la fin. Ils choisissent une catégorie de personne pour passer les entretiens. Ensuite il y’a toute une catégorie d’opérateurs, ils en ont pris 2 ou 3 alors qu’il y en a plusieurs centaines. Ils préfèrent des maintenanciers et des conducteurs d’installations. C’est dans ces catégories là que certains se font refuser alors que ce sont les métiers recherchés.

 

 

Les petites voix du milieu restent dans l’expectative des résultats des élections européennes de juin prochain. Pour Ludovic Bouvier, Secrétaire général de la CGT métallurgie du Nord, “c’est toute l’industrie automobile française voire européenne qu’on est en train de détruire, et ça va engendrer une casse sociale sans commune mesure”. Selon lui, c’est l’intégralité du secteur automobile qui est en train d’être redessiné, avec une “décision irréversible, car si jamais elle [l’Union européenne] venait à faire marche arrière, ou même retarder d’avantage l’obligation de l’électrique, ils ne pourront jamais faire revenir le thermique en France”, et la “fabrication des moteurs thermiques sera déjà délocalisées dans des pays à bas-coûts”. Fabrice Jamart en convient : “ça ne changera rien pour Douvrin”.

La transition écologique: un nouveau prétexte pour licencier ?

C’est une transition au goût amer pour les 1200 salariés de l’usine de Douvrin Billy-Berclau. Outre la perte de leurs emplois, le motif invoqué par la direction de Stellantis pour fermer son usine n’est pas audible. “On aurait pas eu le même discours si les moteurs s’arrêtaient,” développe le représentant de la CGT PSA Douvrin.

D’autant plus qu’en décembre 2023, le Parlement européen a adopté la Norme Euro 7. Initialement prévu pour 2025, son application a été repoussée à 2030, et son contenu vidé de sa substance. Jugée trop sévère par les constructeurs automobiles, elle prévoyait d’imposer une diminution de 35% des émissions d’oxyde d’azote pour les voitures diesel et 13% des émissions de particules fines. Finalement, les taux d’émissions resteront identiques à ceux de la norme Euro 6. Une actualité qui laisse Fabrice Jamart perplexe, alors que la fabrication des moteurs à Douvrin est délocalisée à l’étranger: 

 

On pourrait [les moteurs] les faire plus longtemps. Parce qu’à chaque fois, leur excuse c’est la transition énergétique, la transition énergétique. Mais la fermeture de notre usine n’a rien à voir avec la transition énergétique, parce que tout simplement nos moteurs ne disparaissent pas, nos moteurs thermiques ils vont être fait dans d’autres usines.”

 

Les moteurs essences partent en Hongrie, les diesels vont transiter par Trémery (Moselle) avant de quitter le sol français pour l’Italie dans quelques années. Un troisième moteur, produit à Douvrin, sera absorbé par quatre autres sites.

 

On parle souvent du lobbying des agriculteurs mais il n’y a pas qu’eux. Il va falloir écouter ce que disent les constructeurs automobiles, car c’est un pouvoir économique, pas politique.”

 

Pour Ludovic Bouvier, les constructeurs automobiles jouent sur les deux tableaux en attendant les élections européennes. D’un côté, ils posent les premiers jalons d’un nouvel écosystème tourné vers l’électrique en recevant des millions d’euros de subvention. De l’autre, c’est un prétexte pour délocaliser leurs usines dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère. 

La nécessité de changer nos modes de transports rapidement ne fait aucun doute. Le 6e rapport du GIEC est sans équivoque: le passage au tout électrique représente le plus grand potentiel de décarbonation à court terme. Il réduirait d’environ 5 millions de barils par jour la demande mondiale de pétrole d’ici à 2030. Reste à savoir si le volume de véhicules thermiques produit par les constructeurs dans le monde diminuera réellement ou si les travailleurs et travailleuses français de l’automobile seront les seuls dindons de la farce…

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