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Plan social chez Seqens à Villeneuve-la-Garenne : les laissés-pour-compte de France Relance

Le chimiste Seqens a annoncé le 6 septembre la suppression de 72 postes à son usine de Villeneuve la Garenne. Le plan social intervient presque 3 ans jour pour jour après l’inauguration d’une nouvelle unité de production par le président Emmanuel Macron. Le personnel, en colère, refuse de servir de fusible et pointe du doigt la direction du site, coupable selon lui, de graves erreurs stratégiques. Décryptage.
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Les salariés de Sequens mobilisés sur le piquet de grève - 3 octobre 2023

Le couperet est tombé le 6 septembre à Villeneuve la Garenne : 76 postes seront supprimés, entraînant 54 départs pour début 2024 sur les 110 salariés actuels. L’annonce ne vient pas de nulle part. PCAS (pour “Produits chimiques et auxiliaires de synthèse”), propriétaire des lieux et détenue à 76% par Seqens, envisageait dès avril dernier “une réduction temporaire d’activité. La réduction s’est transformée en suspension, préalablement au lancement d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Les équipes de production sont décimées : plus de 40 de ses membres sont concernés par les 54 licenciements prévus actuellement. Parmi ces travailleurs en 5×8, on compte 35 opérateurs techniciens, 4 chefs d’équipe et 2 responsables de production. “Il y en a qui ont plus de 30 ans d’expérience. C’est une boite où les gens restaient. Retrouver un travail à 50 ans, 55 ans, ça relève de l’impossible”, confie un salarié, “surtout que dans l’industrie chimique, il n’y a pas des ateliers partout ». 

Les perspectives de reclassement sont maigres d’après Michel*, représentant syndical à Villeneuve la Garenne : “pour les opérateurs de production, il n’y a presque rien, 3 ou 4 postes, et puis il faut pouvoir bouger. C’est des gens ancrés dans la région pour la plupart. Certains postes seraient ouverts sur le site de Villeneuve, moyennant un passage en horaire de journée. Qui dit horaires de journée dit adieu à la prime de 5×8, qui représente tout de même 35% du salaire. Le groupe affirme pourtant dans son rapport de résultats du 1er semestre 2023 qu’il “proposerait des mesures d’accompagnement et de reclassement y compris sur les autres sites du groupe PCAS”.

Les négociations en cours ont lieu en terrain neutre, dans les bureaux commerciaux à Massy. Pour le moment, les délégués syndicaux temporisent : “ils ont un calendrier super serré, au niveau des élus, on a bien freiné”. Les échanges, jusqu’à présent assez ouverts, pourraient se durcir lorsque les questions d’argent seront mises sur la table. Les travailleurs se mobilisent également : un premier piquet de grève le 3 octobre a rassemblé près de 65% des employés, et d’autres sont prévus dans les prochaines semaines, en marge des réunions de négociations. Un déplacement au siège du groupe à Écully est prévu le 17 octobre, ils espèrent à cette occasion faire entendre leur cause auprès de la direction. 

Ce PSE fait figure d’ombre au tableau d’une entreprise qui jouit d’une très bonne réputation dans son secteur. Seqens, ex-Novacap, est un des leaders mondiaux de la synthèse pharmaceutique et des ingrédients de spécialité. Le groupe, détenu depuis la fin de l’année 2020 par le fonds d’investissement américain SK Partners, emploie près de 3500 personnes et possède 24 sites de production à travers le monde. Sa filiale PCAS connaît toutefois des difficultés financières depuis plusieurs années. Elle accuse une perte de près de 50 millions d’euros pour l’année 2022. Seqens a d’ailleurs très récemment fait part de son intention de déposer une OPA (offre d’achat publique) pour sa filiale française.

Seqens, fleuron français de l'industrie pharmaceutique

Site industriel d’exception”, “fleuron français”, en ce 28 août 2020, Emmanuel Macron ne tarit pas d’éloges sur Seqens et sa dernière unité flambant neuve sur le site de Villeneuve la Garenne. L’usine francilienne inaugure alors un bijou industriel à 30 millions d’euros, qui permettra d’augmenter la production d’une hormone féminine, l’estetrol, pour le compte de l’entreprise Mithra. Cette start up belge spécialisée dans “la santé féminine” commercialise depuis quelques années une pilule baptisée “Estelle”, fabriquée à partir d’estetrol.

À l’époque, Seqens est considéré comme le bon élève de la relocalisation dans le domaine pharmaceutique, un fait largement justifié par ses investissements massifs sur le sol français (près de 300 millions d’euros) sur la période 2010-2020. En sortie de crise du Covid-19, le groupe s’est engagé à rapatrier la production de paracétamol, alors que le dernier site français de fabrication de cet antalgique avait fermé en 2008. Lauréat du plan France Relance dans le cadre de cinq projets, PCAS a touché près de 45 millions d’euros d’aides publiques pour la poursuite de cet objectif. Le projet phare du groupe est la construction d’une immense usine à Péage-de-Roussillon (38) permettant à terme de produire plus de 10 000 tonnes de paracétamol chaque année, soit un tiers des besoins européens. La construction, sur laquelle s’est rendue en mai 2021 Agnès Pannier-Runacher, alors ministre chargée de l’Industrie, est prévue pour être livrée fin 2024.

@Compte Twitter du groupe Seqens - 28 août 2020
@Compte Twitter d’Emmanuel Macron - 28 août 2020

Du rêve au cauchemar

Tout ne s’est pourtant pas passé comme prévu pour PCAS sur son site de Villeneuve la Garenne. Chez les salariés, le gouffre entre les perspectives et la réalité fait grincer des dents. Sur la nouvelle installation, il est initialement prévu de produire pour Mithra mais pas que, afin de diversifier son portefeuille client et limiter les risques pour son activité. Un accord aurait même été signé à l’époque sur un principe “donnant-donnant” : les employés s’engagent à une certaine flexibilité horaire, en échange de quoi la direction devait introduire 3 nouvelles molécules en fabrication sur le site francilien. Pour les délégués syndicaux, cette dernière a tardé à mettre en place cet accord : “on a alerté” la direction “de nombreuses fois depuis le début de l’aventure avec Mithra sur le fait que traiter avec un seul client, c’était dangereux”, confie Michel*. Elle invoque alors “un choix stratégique”, justifié par l’importante commande de Mithra qui monopolise les capacités de production et le personnel. 

En parallèle, l’unité UPP30 connaît de très nombreuses difficultés d’exploitation qui causent retards et problèmes de qualité auprès de Mithra. Selon Michel, la conception de l’unité n’était pas adaptée au produit : “on nous a vendu un truc magnifique, ultra étanche, 0 contact avec le produit. La réalité, c’était complètement différent, il y avait des fuites, c’était une catastrophe.” Les salariés affirment avoir fait contre mauvaise fortune bon coeur : “on a joué le jeu”, “on est en train de bosser sur un truc nouveau, c’est compliqué ok, on comprend et on y va à fond”. Pour déboucher des conduits ou pallier le dysfonctionnement de certains appareils, ils auraient été amenés à manipuler à la main des échantillons d’estetrol, une opération normalement réalisée de manière automatisée par un outil qui n’a “jamais fonctionné”. Cette pratique, strictement interdite et en théorie exceptionnelle, est devenue récurrente. Malgré les équipements de protection individuels, que la direction a toujours encouragé à porter, la sécurité de cet environnement de travail interroge.

@Fuites sur les unités de production à l’usine de Villeneuve-la-Garenne

À l’été 2022, peu après avoir renouvelé son contrat avec PCAS pour la 3e fois, Mithra suspend une partie de ses paiements en raison de désaccords sur l’exécution du contrat. PCAS engage alors en février 2023 des poursuites judiciaires contre le belge, à qui elle réclame 31 millions d’euros. À Villeneuve la Garenne, la direction change et on commence à parler de réduction temporaire d’activité. Joignant la parole aux actes, une partie du personnel passe en horaires de journée. Les salariés franciliens, inquiets pour leurs emplois, sont rassurés par la direction : le client finira par payer, et la production repartira. C’est donc peu dire si l’annonce du PSE à la fin du mois dernier sonne comme une trahison. Désormais, c’est la colère prédomine, avec le sentiment de payer pour des décisions stratégiques prises en dehors de leur champ de responsabilité. Michel avoue regretter d’avoir été aussi conciliant : “on leur a évité des dizaines et des dizaines de droit de retrait. On aurait pu arrêter de travailler tous les jours si on voulait, parce qu’on était obligé d’ouvrir les appareils et de mettre les mains dans le produit, ne serait-ce que pour déboucher.”

Quel avenir pour le site de Villeneuve-la-Garenne ?

L’avenir du site demeure incertain à l’heure actuelle. Dans son rapport semestriel publié le 6 septembre dernier, le groupe affirme avoir lancé “un projet de réorganisation du site afin d’en augmenter la polyvalence […] et ainsi d’en assurer la pérennité.”, sans préciser la nature de la réorganisation. Du côté des salariés, on soupçonne la direction de vouloir vendre l’usine : “on a vraiment l’impression d’une stratégie de vouloir vider l’usine de son personnel et de son savoir-faire. Il ne va rester quasiment rien en termes de produits.” Il faut dire que la localisation de l’usine en plein centre-ville représente une forte contrainte : entre stockage limité, contrainte sur le choix des produits en fabrication, odeur qui gêne les riverains et discrétion moindre, Villeneuve la Garenne pourrait être aujourd’hui l’épine dans le pied du chimiste français. 

Il semble difficile de pronostiquer le sort du site tant que le litige avec Mithra, qui ne devrait pas voir d’issue avant 2024, n’est pas réglé. Les prochaines semaines seront en revanche décisives pour celui des travailleurs franciliens.

Contacté par nos soins, le groupe Seqens a refusé de commenter ces différents sujets. 

Une cagnotte de grève a été lancée par les salariés du site de Villeneuve, disponible à ce lien : https://www.cotizup.com/vlg-pse.

 

*Les prénoms ont été modifiés afin de préserver l’anonymat.

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