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Nestlé Waters à Vittel : les nappes s’assèchent et les salariés trinquent

Près de 120 salariés et anciens salariés de Vittel ont pris la route de la capitale lundi 2 octobre pour faire valoir leur revendication : “Objectif zéro licenciement”. Sous le coup d’un nouveau PSE menaçant 171 postes, les travailleurs de Nestlé Waters refusent d’accepter les conditions de la direction.
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Les salariés vosgiens en bas des locaux de Nestlé France - 02/10/2023

L’annonce est tombée le 16 mai dernier : un nouveau plan social chez Nestlé Waters acte la suppression de 171 postes sur son usine de Vittel, soit près d’un quart du personnel. Les effectifs, en baisse constante depuis 2005, devraient atteindre un niveau historiquement bas d’environ 550 personnes. La décision ne passe pas chez les salariés, en grève illimitée depuis le 5 septembre. Les syndicats sont bien décidés à tout faire pour parvenir à une solution “zéro licenciement”, en misant sur les congés de préretraite pour le personnel en fin de carrière. “On pense que Nestlé a les reins solides pour assumer sa responsabilité sociale comme elle le dit, pour aboutir à zéro licenciement”, affirme Stéphane Cachet, délégué syndical CGT. L’un des principaux points d’achoppement porte notamment sur le montant de l’enveloppe allouée au PSE : au cours de la dernière réunion en date, le 25 septembre, la direction a rejeté en bloc une proposition des syndicats à 55 millions d’euros, arguant que leurs calculs étaient sous-évalués à hauteur de 8,5 millions d’euros. Un autre enjeu de taille concerne la durée de la période de préretraite, que les dirigeants souhaitent absolument limiter à 5 ans : “on suppose que c’est par rapport aux autres entités du groupe” explique Stéphane Cachet au média Vosges Matin, “si demain, il y a un plan [social] à Perrier”, “ils pourraient dire « les vosgiens ont eu 6 ans, nous on demandera 6 ans »”

Les vittellois étaient en déplacement “symbolique” lundi 2 octobre au siège de Nestlé France à Issy les Moulineaux, pour réaffirmer leurs revendications. Les délégués syndicaux ont rencontré Muriel Liénau, présidente-directrice de Nestlé France, et Sophie Dubois, présidente de Nestlé Waters France. À l’issue de l’entrevue, Yannick Duffner (CFDT) et Stéphane Cachet (CGT) ont confié avoir réitéré leurs préoccupations au sujet du délai des négociations jugés trop court. Les délégués syndicaux semblent avoir été entendus car un nouveau calendrier, repoussant la date butoir au 31 octobre, a depuis été mis sur pied.  La prochaine réunion paritaire est prévue ce lundi 9 octobre.

Sécheresse et baisse de la production

Début mai, 18 jours avant l’annonce du PSE, le groupe avait indiqué avoir suspendu la production de deux de ses forages sur les six utilisés pour sa marque Hépar dans les nappes superficielles. La décision, qui a entraîné une baisse de 60% de la production d’eau Hépar, est motivée selon Nestlé Waters par “les conditions climatiques qui se détériorent”. Pour les associations environnementales, la société a surexploité les nappes : « s’ils suspendent partiellement leur production, c’est qu’il n’y a tout simplement pas assez d’eau« , affirme Bernard Schmitt, porte-parole du collectif citoyen Eau 88. Un scénario auquel ne croient pas les salariés vosgiens, qui voient surtout dans l’arrêt des forages un moyen de justifier les départs contraints. 

Bien qu’il pose question, l’arrêt des deux forages n’est pas d’une gravité extrême. L’eau y est puisée à 10 mètres de profondeur et les nappes superficielles se rechargent rapidement avec l’eau de pluie. En revanche, pour d’autres nappes plus en profondeur comme celle des Grès du Trias Inférieur (GTI), nichée à 100m sous la terre, la situation est plus alarmante. L’eau de la nappe des GTI, située sous les communes de Vittel, Contrexéville et Bulgnéville, est exclusivement réservée à l’export. Ce réservoir, de très bonne qualité et faiblement minéralisé, présente un déficit annuel d’un million de m3 et se renouvelle lentement. Depuis les années 1970, son niveau déficitaire fait l’objet de mises en garde récurrentes du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). Nestlé Waters est pourtant autorisé à y prélever annuellement 3 millions de m3, la dernière autorisation en date remontant à décembre 2022 et porte jusqu’à janvier 2032. Cela représente 60% du volume d’eau prélevé annuellement, les 2 autres millions étant répartis entre la consommation domestique des habitants, les agriculteurs et d’autres industriels du territoire.

Stéphane Cachet (CGT) résume les points abordés au cours de l'entrevue avec la direction Nestlé France.

Bienvenue à Nestlé City

Les salariés vittellois ne sont pas les seuls à être inquiets de la situation. Nestlé Waters représente « près de 25% de l’emploi industriel du bassin de vie de l’ouest vosgien », selon la Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCI) des Vosges. Plusieurs mouvements de protestations contre la décision de l’entreprise ont eu lieu au cours du mois de septembre, dont un rassemblant plus de 1000 personnes, fait quasi-inédit à “Nestlé City”. Au sein du cortège se sont mêlés salariés de l’usine, habitants de la région et élus locaux, dont le maire de Vittel Franck Perry, celui de Contrexéville, Luc Gerecke ou encore le député Jean-Jacques Gaultier, soucieux de l’avenir du poumon économique du territoire. Eux aussi ont beaucoup à perdre : Vittel et Contrexéville perçoivent respectivement trois et deux millions d’euros de surtaxe sur les eaux minérales chaque année. L’influence de la firme suisse sur la vie politique et économique locale ne s’arrête pas là : par le biais d’un habile maillage territorial, elle a réussi à imposer son agenda économique au mépris des associations environnementales qui l’accusent depuis des années de s’accaparer les ressources en eau. En 2014, lorsque le BRGM propose différents scénarios pour un retour à l’équilibre de la nappe, le géant de l’eau explique que réduire ses prélèvements le ferait passer “sous un seuil critique de rentabilité, qui aboutirait à l’abandon de l’ensemble de sa production”. Avec cet argument économique de poids, Nestlé semble s’être assuré une immunité sur son accès aux ressources en eau. 

Deux années plus tard, la préfecture met sur la table un projet de pipeline approvisionnant depuis l’est des Vosges le territoire de Vittel. Un scénario gagnant – gagnant : les consommations d’eau des particuliers ne se feront plus au détriment de la nappe des GTI (mais d’une autre dont la quantité d’eau mobilisable reste inconnue) tandis que Nestlé ne sera pas pénalisé économiquement. L’annonce provoque un tollé, et le projet est enterré en 2019, en raison de l’importante opposition qu’il suscite et du signalement d’un conflit d’intérêt par l’association Anticor. Claudie Pruvost, conseillère départementale et présidente de la Commission Locale de l’Eau (CLE) avait pris plusieurs décisions en faveur du projet de pipeline. À la même époque, son mari, ancien cadre supérieur de Nestlé International, présidait l’association La Vigie de l’eau, mandatée par la commune de Vittel pour sensibiliser « aux changements climatiques et à ses impacts sur la ressource en eau ». Détail cocasse, l’affaire avait été dépaysée d’Épinal à Nancy car la vice-présidente au tribunal de grande instance d’Épinal chargée des instructions était également l’épouse d’un ancien directeur de Nestlé Waters Vosges. Claudie Pruvost a finalement été condamnée le 17 novembre 2021 à 3 mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende pour “prise illégale d’intérêt”. L’association La Vigie de l’eau a de son côté écopé de 8 000 euros d’amende.

Nestlé sous le feu des critiques

Depuis l’abandon du projet de pipeline, la cause des militants vittellois a connu une relative médiatisation. La firme helvète, davantage scrutée, doit jouer un véritable jeu d’équilibriste pour continuer à puiser l’or bleu dans le sol vosgien. En juin 2020, elle essuie une plainte pour l’exploitation illégale de 9 foragesau titre du code de l’environnement”. Parmi les 28 exploités par la multinationale, ces forages représentent plus de dix milliards de litres d’eau pompés depuis 2007. L’un d’entre eux, Great Source, pompe chaque année l’équivalent de la consommation de 1574 français. La plainte est classée sans suite, et des arrêtés préfectoraux publiés en novembre 2022 viennent régulariser la situation des  forages. 

Autre exemple en mai 2021 : à la suite de la parution d’une enquête de Libération, la firme est forcée de reconnaître l’existence de 9 décharges plastiques aux alentours de son site des Vosges. Découvertes en 2014 par des riverains, ces collines de bouteilles plastiques ont été rejetées dans la nature à l’époque où Nestlé Waters était encore actionnaire minoritaire de la société des eaux de Vittel. L’entreprise s’est néanmoins engagée à “assumer financièrement l’intégralité de l’assainissement” du site. Les décharges sont pourtant toujours en place aujourd’hui. Nul doute que l’infiltration des particules de plastique via les eaux de pluies viennent dégrader la qualité de l’eau des nappes alors même que Nestlé Waters fait de la préservation de ses eaux souterraines une priorité avec sa filiale Agrivair. Créée dans les années 1990, la filiale a acheté les terres agricoles situées au-dessus de ses nappes, qu’elle a mis en place auprès d’agriculteurs conventionnés, s’engageant à respecter un “cahier des charges environnemental”.

Les déboires de Nestlé ont fait grand bruit en Allemagne, l’une des premières destinations à l’export de son eau “Bonne Source” puisée dans la nappe des GTI. En octobre 2021, la chaîne de supermarchés Lidl annonce ne pas renouveler son contrat de distribution avec Nestlé Waters. Elle se voit ainsi privée de 3200 points de vente allemands et de plusieurs dizaines de millions d’euros de recettes. La multinationale annonce dans la foulée la suppression de 75 postes d’ici à la fin de l’année 2022. Certains observateurs y voient la conséquence logique de la mauvaise presse dont elle jouit outre-Rhin. Quelques mois plus tard, elle annonce abandonner le marché allemand et autrichien, dont dépendent environ 150 de ses 800 salariés vittellois.

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