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Christian Porta : harceleur de patrons ou victime de répression syndicale ? 

Mardi 23 avril, Christian Porta reçoit la notification de son licenciement pour “faute grave” par l’intermédiaire d’un huissier de justice. Cette décision, a priori illégale, arrive après plusieurs mois de procédure et de retournement de situation. Retour sur la chronologie des faits.
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Christian Porta (à gauche) accompagné de quelques collègues le 1er mars lors d’un piquet de grève devant le siège social d’InVivo. Paris, 1er mars 2024 - @Débrayage

Neuhauser, une boulangerie industrielle dans giron du géant Invivo

Depuis 2010, Christian Porta travaille chez Neuhauser, une boulangerie industrielle du groupe InVivo. Ce géant de l’agro business se définit comme une coopérative familiale, compte 14 500 salariés et réalise 12,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023. En 2015, il est embauché après plusieurs missions d’intérim. Au fil des années, une section syndicale se structure autour de Christian Porta et d’autres collègues, soutenu par la CGT alors qu’il n’en existait pas sur le site. Leur objectif est d’améliorer les dures conditions de travail au sein de la boulangerie du site de Furst, notamment relative au volume horaire. Une des principales victoires récentes est le passage aux 32 heures payées 35h, pas vraiment au goût de la direction qui aurait depuis décidé de mener la vie dure au syndicaliste.

Le début de l’affaire remonte au 7 février 2024. Christian Porta reçoit une mise à pied conservatoire assortie d’une interdiction de pénétrer sur son lieu de travail, ainsi qu’une convocation pour un entretien préalable avec la direction, pouvant aller jusqu’à son licenciement. Le 8 février, il se voit refuser l’entrée sur son lieu de travail, bloqué par des agents de sécurité embauchés pour l’occasion, et appuyés par la gendarmerie.

Le motif? M. Porta aurait harcelé et intimidé des cadres de l’entreprise, des faits qu’il réfute formellement. La direction du groupe InVivo aurait alors décidé d’entamer une procédure de licenciement disciplinaire à son encontre. 

Une accusation surprenante jugée fausse par l’inspection du travail

Revendicatif, il ne s’en cache pas, mais “je ne harcèle pas, je n’insulte pas !”, rapportait le syndicaliste auprès de Politis. Son mandat d’élu cégétiste au sein de l’entreprise lui assure le statut de salarié protégé. Au cours de l’entretien, la direction présente les maigres éléments qu’elle a en sa possession, “des phrases sorties de leur contexte, non datées et anonymes”, confie Christian Porta. De son côté, le CSE se prononce à l’unanimité contre le licenciement du représentant du personnel. La direction prend tout de même la décision de le licencier. Du fait de son statut de salarié protégé, l’inspection du travail doit également se prononcer sur la légalité de ce licenciement.

Parallèlement, le tribunal judiciaire de Sarreguemines, qui avait été saisi en référé par Christian Porta, lève l’interdiction de pénétrer sur son lieu de travail le 16 février. En effet, cette disposition a été considérée comme une entrave à l’exercice de ses activités syndicales sur le site. Toutefois, il reste suspendu et ne touche plus son salaire depuis quatre mois maintenant. Ce même tribunal n’a pas non plus reconnu les faits de harcèlement reprochés au syndicaliste, faute de preuves matérielles.

Le 15 avril, l’inspection du travail a rendu sa décision en six pages très claires. Les “faits de harcèlement ne sont pas matériellement établis”, et l’argumentaire précise que “la demande de licenciement de M. Porta est en lien avec l’exercice de ses mandats”. Autrement dit, son licenciement est refusé par l’administration et les accusations, considérées comme une discrimination et donc, de la répression syndicale.

Pourtant, la direction de Neuhauser persiste, outre l’avis de l’inspecteur du travail. Le 23 avril, Christian Porta apprend qu’il est tout de même licencié. L’entreprise tente de décrédibiliser l’inspecteur du travail, invoquant une “collusion” avec M. Porta et refuse cette décision. Un autre enjeu de taille dans une institution en souffrance, selon le salarié licencié: “on leur enlève des moyens et des prérogatives, si on leur enlève la protection des salariés, demain on a plus besoin d’inspecteur du travail, ils ne servent plus à rien”. 

Un enjeu bien plus politique

Le cas de Christian s’inscrit dans un contexte plus large “du patronat qui se radicalise et tente de repousser les limites de la loi”, alarme-t-il. “On ne peut pas délier ce qu’il se passe chez Neuhauser à ce qui se passe dans la société actuelle. Il y a une vague autoritaire, une montée réactionnaire qui a pour effet de réprimer”. Un cas qui est loin d’être isolé, confirme-t-il, “on essaie de se structurer avec d’autres salariés réprimés, des camarades de la SNCF, la Poste, Fleury Michon” ou encore de chez Dassault, comme nous l’avions évoqué avec Emmanuel Dumoulin. Christian Porta rappelle également la responsabilité de la CGT au sein du mouvement ouvrier dans cette lutte en tant que rempart face à cette montée. “Il faut qu’on s’en saisisse et qu’on propose des perspectives, parce que le jour où l’extrême droite arrivera au pouvoir, on prendra encore plus cher.

Le délibéré du conseil de prud’hommes sera prononcé le 24 mai au matin. Si Christian Porta est confiant sur son contenu, sa réintégration reste incertaine. “Tout le patronat français regarde ce qu’il se passe chez nous. Si demain on peut licencier des élus parce qu’ils demandent des augmentations de salaire, y’a plus rien à faire” déplore-t-il. Cette affaire se télescope avec la préparation des listes pour les élections prévues en septembre. Outre le statut des salariés protégés, c’est le droit des salariés à porter leurs revendications qui se trouve menacé. Une constatation d’autant plus alarmante dans un contexte de régression des acquis sociaux. 

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