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Nouvelle baisse d’effectif pour les inspecteurs du travail

L’institution va mal. De nombreux postes ne sont pas remplacés entraînant une surcharge de travail, s’alliant à un important manque de considération. De plus, la profession, boudée par les jeunes diplômés, peine à recruter.
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Campagne publicitaire gouvernementale pour recruter dans les services publics

Le rôle  des inspecteurs du travail est essentiel. Ils apportent, par leur expertise, un soutien aux salariés parfois désabusés et sont également un rempart contre l’insécurité au travail. La France, mauvaise élève en ce qui concerne les accidents du travail, cherche péniblement une solution pour rendre la profession plus attractive. 

Une profession en crise depuis des années

Dans un rapport publié à la fin du mois de février, la Cour des comptes met en exergue les difficultés que rencontre la profession. Elle indique que « face aux difficultés de recrutement particulièrement fortes au sein de l’inspection du travail, un plan d’action a été mis en place ». Le taux de vacance des sections de l’inspection du travail aurait atteint les 18% en mars 2022, une situation qui ne cesse de se dégrader. Selon de nouvelles informations, ce taux serait même parvenu à 22% en mars 2023: 446 des 2018 sections seraient ainsi laissées à l’abandon. Pour faire face à ces chiffres inquiétants, l’Etat aurait définitivement supprimé 30 sections supplémentaires en un an. Ce manque de personnel laisserait donc un travailleur sur cinq, soit 4,5 millions de personnes, sans possibilité de s’entretenir avec un agent quant à ses conditions de travail.

Pour la Cour des comptes, le problème vient du manque d’attrait pour le concours d’inspecteur. Le nombre de candidats a en effet baissé de 47% entre 2015 et 2019. Le nombre de places a pourtant plus que doublé entre 2021 et 2022 mais les candidats n’ont pas été plus nombreux à se présenter. Chose regrettable selon la Cour, qui souligne que le taux de sélectivité a atteint un seuil extrêmement bas. Aujourd’hui, deux candidats sont présents pour un poste ouvert. Dans ces conditions, il est probable que « le jury ne puisse pas pourvoir tous les postes, sauf à sélectionner des candidats dont les compétences sont insuffisantes au regard des exigences du concours. » 

Pour affronter ces difficultés, un plan d’action a été mis en place. Il comprend plusieurs volets, tels que l’organisation d’opérations de communication à destination des étudiants, la réformation du concours ou encore la possibilité d’avoir accès à une formation écourtée pour les agents de catégorie A souhaitant se reconvertir. Cependant, la Cour des comptes précise bien qu’il est « en outre nécessaire de continuer la réflexion sur le métier même d’inspecteur du travail. »

Des emplois pourtant essentiels

Simon Picou, inspecteur du travail et membre de la CGT ne peut que constater cet état de fait très inquiétant : « La tendance décrite par la Cour des comptes, c’est celle qu’on souligne depuis des années et des années et qui est incontestable malheureusement, elle a même empiré. C’est un rythme vertigineux et qui se traduit sur le terrain par un ministère qui réduit à portion congrue. Cela a un impact évidemment sur les usagers qui voudraient se tourner vers les services de l’inspection du travail mais aussi pour les conditions de travail des agents qui, dans un certain nombre de départements, se retrouvent à devoir tenir deux, voire trois postes à la fois, ce qui est évidemment délétère. » 

En effet, les travailleurs font les frais du manque de moyens investis dans la profession : « On se retrouve à devoir arbitrer au quotidien entre ce qu’on va faire et les sollicitations pour lesquelles on va devoir répondre aux salariés qu’on ne traitera pas, on n’est pas en mesure de le faire. Et ça, pour les salariés qui sollicitent c’est évidemment difficilement compréhensible, voire inacceptable. Et pour les agents qui doivent faire ces réponses, c’est un conflit de valeur très important. Généralement, quand on fait ce métier c’est pour répondre aux sollicitations, aux demandes d’aide des salariés, ce n’est pas pour leur dire « débrouillez-vous, je n’ai pas le temps ». Vous pouvez avoir deux fois plus d’enquête sur les accidents du travail à effectuer, ce sont des choses que vous êtes obligé de faire, car derrière il y a des victimes, des ayants-droits quand malheureusement l’accident a été mortel, des enquêtes pénales. Mais si on en a deux fois plus qu’à l’ordinaire, cela veut dire qu’il y a d’autres choses qu’on ne pourra pas faire comme des enquêtes pour harcèlement, qui sont souvent longues et difficiles ou des alertes car les salariés n’ont pas touché leur salaire. » 

Pourtant, la France aurait bien besoin d’investir davantage dans la prévention pour limiter les accidents du travail. En 2022, 44 217 maladies professionnelles ont été reconnues, en grande partie des troubles musculo-squelettiques. La même année, 564 189 accidents du travail ont eu lieu, majoritairement dans les activités de la santé, du nettoyage et du travail temporaire, de l’alimentation, du transport ou encore du BTP. Ces accidents ont fait 738 morts reconnus, soit deux personnes par jour qui décèdent sur leur lieu de travail. Ces chiffres, tirés d’un rapport publié par l’assurance maladie, ne prennent cependant pas en compte les auto-entrepreneurs ou les travailleurs sans-papiers, pourtant plus exposés que le reste de la population. La France affiche ainsi un des pires bilans européens concernant les accidents du travail mortels. Un bilan qui pourrait s’empirer si rien n’est fait pour grossir l’effectif d’agents de l’inspection du travail. 

Ces faits sont connus des autorités, qui ne semblent pourtant pas vouloir endiguer le problème. Pour Simon, « il y a une hypocrisie qui est monstrueuse de notre ministère. En 2023 il y a eu une campagne de communication en disant que [ndlr : les accidents du travail] étaient la cause nationale. Mais dans le même temps on continue à supprimer des sections de l’inspection, cela ne peut évidemment que diminuer la prévention qui va être faite dans les entreprises et sur les chantiers. Quand une entreprise n’est pas contrôlée, on ne peut pas alerter sur une machine non-conforme, elle va continuer à être utilisée, et potentiellement elle pourra être à l’origine d’un accident. »

Une mise à mal programmée ?

Pour Simon, le manque d’attractivité constaté par la Cour des comptes est aussi lié aux politiques actuelles : « La profession est mise à mal sciemment, les orientations politiques des derniers gouvernements consistent à retirer aux salariés tout moyen de se défendre et de faire valoir leurs droits dans l’entreprise. Déjà le droit du travail, qu’on est censé faire respecter, est attaqué. Il est modifié en défaveur des salariés. Dans le même temps, on affaiblit toutes les institutions qui peuvent exercer un contre pouvoir dans l’entreprise. La suppression des CHSCT n’aident pas, il est à nouveau question d’augmenter les seuils pour la mise en place des CSE, cela va aboutir à réduire encore le nombre de représentants du personnel. Et cela ne vaut que pour la partie la plus interne. Mais ensuite on affaiblit la médecine du travail, l’inspection du travail et tous les organismes qui peuvent constituer un contrepoids aux pouvoirs des employeurs. C’est le projet selon nous, ce ne sont pas simplement des coupes-budgétaires qui tombent là comme elles pourraient tomber ailleurs. Il y a un projet politique d’affaiblissement de notre service public. »

Plus qu’un manque évident de soutien, les agents dénoncent une décrédibilisation volontaire de leur fonction par les hautes instances politiques : « On a eu des séquences ahurissantes au moment de la crise sanitaire, ou dans le cadre de mouvements de grève de la SNCF où notre Ministre désavouait sur les plateaux télé ou à la radio les actions des agents de l’inspection du travail. La Ministre venait expliquer que l’inspection du travail racontait des choses mais qu’il ne fallait pas l’écouter. Comment voulez-vous convaincre d’exercer ces fonctions quand vous n’avez aucun soutien et même des coups de poignard dans le dos de la part d’autorités politiques qui sont censées représenter et défendre la profession. » 

S’ajoute à cela des politiques qui vont à revers des promesses faites ces dernières années : « Le Ministère est en train de revenir sur des engagements qui avaient été pris. Il avait ouvert la possibilité pour des fonctionnaires de catégorie A de passer un entretien et en ayant par la suite une formation réduite par rapport aux externes. C’est un dispositif qui n’avait pas trop mal marché, pour l’année dernière 101 collègues ont intégré les services par ce biais-là. Ils avaient annoncé qu’il y aurait à nouveau 100 postes ouverts par cette voie en 2024 et on apprend en début d’année qu’il y en aura 0, sans aucune annonce aux organisations syndicales représentatives, sans aucune explication. On suppose que c’est la conséquence des 10 milliards d’économie décrétés par le gouvernement. C’est sûr qu’avec des décisions pareilles, les constats que font la Cour des comptes et nos organisations syndicales depuis des années risquent d’être encore plus noirs. »

Des conditions de travail difficiles

Autre enjeu que doivent affronter les agents de l’inspection du travail, ce sont les relations avec les employeurs. Souvent perçus comme une menace par ces derniers, les agents ne sont pas bien accueillis. Simon raconte : « On a quand même une organisation [d’agriculteurs] qui a éventré et tué un sanglier devant nos locaux en Lot et Garonne, ce sont des menaces directes contre les collègues. Cela s’inscrit dans une longue ligne de faits de ce type car les collègues avaient déjà reçu individuellement ou collectivement des menaces dans ce département. »

Encore une fois, le Ministère ne leur apporte aucun soutien et vient même leur compliquer la tâche : « Cette action vise directement nos services. Toutes les organisations syndicales du ministère du Travail ont interpellé la  Ministre en disant : « Madame la Ministre, il faut que vous réagissiez, vos agents sont mis en cause, il faut prendre la parole, affirmer la légitimité de nos missions, mettre en garde contre ce type de comportement, saisir la justice car certains faits sont pénalement condamnables », mais on n’a pas eu la moindre réponse. Puis, il y a ces histoires de contrôle unique dans les exploitations agricoles annoncé par le Premier Ministre. Nous, ça ne peut pas nous concerner, la France a ratifié une convention internationale de l’OIT qui dit qu’on a une indépendance complète dans la façon dont on organise nos contrôles. Mais cela, évidemment, ils ne le disent pas. Demain, des collègues qui iront mener des contrôles dans une exploitation agricole vont être en porte à faux, car on va leur répondre « attendez moi j’ai déjà eu quelqu’un de l’URSSAF il y a 3 mois, ou de la Mutualité sociale agricole, qu’est-ce que vous venez foutre ici, on m’a dit que ce ne serait qu’une fois par an ». Plutôt que d’affirmer la légitimité de nos missions et les règles qui vont avec, on nous dit « faites-vous discret ». Evidemment, ça met en danger les collègues. Encore une fois ce n’est pas cela qui va donner envie à des jeunes ou des personnes ayant déjà une vie professionnelle de venir exercer ce métier. »

Pour pouvoir obtenir gain de cause et faire entendre leur voix, les agents sont prêt à se battre sur tous les fronts : « On porte le bataille dans le cadre de rassemblements, de manifestations avec le soutien des organisations interprofessionnelles mais aussi devant les tribunaux. » En effet, les agents de Seine-Saint-Denis, grandement touchés par le manque de personnel, ont saisi le tribunal administratif pour obtenir des réponses sur leur situation d’intérim (à savoir tenir plusieurs postes à la fois) qui s’éternise. 

Manque de personnel, de considération et une rémunération insuffisante sont autant de problèmes à régler afin de pouvoir, enfin, proposer un service convenable aux travailleurs. Simon prévient : « Il y a urgence à revoir tout cela si on veut améliorer la situation. C’est sûr que si l’objectif politique est de dézinguer ce qu’il reste de ce service public, le gouvernement peut continuer comme cela et atteindra ses objectifs. »