“Je suis déçu mais à moitié surpris”. Lazare Razkallah, ancien secrétaire du CSE (comité social et économique) a accueilli la décision du Conseil d’État avec philosophie. Il pointe avant tout une décision politique. Pour beaucoup de salariés et anciens salariés de TUI France, la décision du Conseil d’État est un sacré coup de massue, qui vient anéantir un succès inédit : “c’était une superbe victoire vis-à-vis de nos camarades des syndicats […], on était content, c’était une référence !”, déplore l’ex-élu CGT reconverti en formateur pour les représentants du CSE.
Genèse d’un plan social controversé
Le 21 juin 2020, c’est par le biais d’une visioconférence avec leur PDG que le personnel TUI France apprend que 583 d’entre eux devront s’en aller “pour assurer l’avenir des 300 restants”. Le PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) est initié au niveau du groupe TUI, basé en Allemagne, qui se sépare de 10% de ses effectifs : avec 2/3 de départs, la France est la filiale la plus touchée. Près de 300 employés travaillant en agences, destinées à être vendues ou reprises, sont débarqués. Les 270 restants quittent le siège situé à Levallois – Perret, dont une partie des activités devait être délocalisée au Maroc. Un coup dur pour les membres d’une entreprise réputée pour son ancienneté.
Le projet, déjà sur la table depuis janvier 2020, avait reçu une forte opposition des élus syndicaux. Ces derniers avait alors été reçus au ministère du Travail et au ministère de l’Économie : “on nous a dit “vous n’avez aucune inquiétude, le chômage partiel, c’est pour éviter les licenciements, votre entreprise fera une demande de chômage partiel, tout ça sera financé”, raconte Lazare Razkallah. Dans le cadre de la crise du Covid-19, TUI France aurait touché 30 millions d’euros d’aides publiques dans cette optique. Le lancement du plan social en juin provoque la fureur des salariés et de leurs représentants, accusant la filiale d’utiliser les aides publiques pour mener à bien son opération de réduction des effectifs.
Une longue et houleuse procédure juridique
S’ensuit alors un long combat juridique : le CSE lance un premier recours en référé sans succès. Puis il initie une procédure au tribunal administratif, où il est débouté en première instance. Finalement, un arrêt de la Cour d’appel administrative de Versailles en juillet 2021, rend deux décisions : il annule le plan social, et son homologation par la DIRECCTE (ancien nom de la DREETS, Direction régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) des Hauts de Seine (92).
La justice pointe des insuffisances, notamment dans les critères d’ordre de licenciement. Ces critères, en l’occurrence l’ancienneté, l’âge, les charges familiales, le handicap et l’entretien annuel d’évaluation, permettent de donner à chacun une note. Les employés avec les notes les plus basses sont licenciés en priorité. “Il y [en] avait pas mal qui n’avaient pas passé leur évaluation annuelle, alors la direction avait décidé de donner 3 [sur 5, ndlr]”, explique Lazare. “Cette note de 3, au lieu de l’utiliser par catégories [professionnelles, ndlr], ils l’ont utilisée sur l’ensemble des salariés, donc il y a des gens qui se sont fait licencier alors qu’ils n’auraient pas dû être licenciés” poursuit l’ancien élu. D’autres irrégularités sont dans le viseur de la justice, notamment une mauvaise définition des zones d’emploi, rendant impossible les perspectives de reclassement entre deux agences à proximité.
L’affaire est montée dans les plus hautes sphères de l’État à la suite d’un incident. Fustigeant le comportement d’une fonctionnaire de la DREETS 92, jugé complaisant à l’égard de la direction, le CSE organise l’envahissement de l’institution quelques jours plus tard. “Élisabeth Borne a appelé [Philippe] Martinez pour dire que ce qu’avaient fait les [salariés] TUI, c’était inacceptable et qu’on allait le payer très cher”, se rappelle Lazare. L’incident aurait pu prendre une tournure dramatique pour 8 membres de la CGT, poursuivis en justice en mars 2023 pour “injures et diffamation”. Ils obtiennent finalement une ordonnance de non-lieu quelques mois plus tard. L’affaire n’est toutefois pas sans impact sur la décision du Conseil d’État selon Lazare Razkallah : “ils sont nommés en conseil des ministres… [Élisabeth] Borne, il y a un lien avec nous.”
Un dernier recours pour le symbole
Au sortir du Covid-19, TUI France aurait proposé à du personnel de réintégrer l’entreprise face à une intense reprise d’activité. Une grosse majorité n’a pas donné suite, certains ayant déjà trouvé un nouvel emploi ou une formation. Une trentaine de salariés ont tout de même retrouvé leur emploi. “La direction s’est aperçue que, ces petites mains, c’est elles qui faisaient […] marcher la boîte”, témoigne Lazare.
Désormais, les ex-TUI France sont tournés vers l’avenir. Ils préparent leurs audiences aux prud’hommes prévues respectivement pour 2024 et 2025 pour les salariés et les cadres. 3 ans après, la page est tournée pour beaucoup d’entre eux, l’objectif est désormais d’obtenir une victoire symbolique et une réparation pécuniaire à la hauteur du préjudice. C’est également l’occasion de prendre une revanche sur le groupe TUI : “je pense que le Covid, ça leur a donné des ailes à TUI. Ils ont cru qu’il n’y avait pas de règle, pas de loi, qu’ils pouvaient faire n’importe quoi.”, affirme Lazare, confiant sur l’issue des audiences : “j’ai bon espoir !”.