Le site de Montoir-de-Bretagne est classé Seveso « seuil haut », rempli de produits dangereux et plusieurs fois épinglés par les autorités sanitaires pour non-respect des normes environnementales. Nul doute que la facture de dépollution aurait été conséquente. Véritable fléau pour la commune ainsi que pour ses habitants, Yara vient encore ici démontrer l’insuffisante prise en charge de l’impératif de dépollution par les entreprises privées.
Des économies en défaveur de l’éthique environnementale
Ce qui a mené au naufrage de l’usine Yara à Montoir-de-Bretagne, c’est bien cet impératif écologique. Depuis de nombreuses années, l’entreprise subit la pression de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) et ce à juste titre. En effet, chaque inspection coûte à l’entreprise des milliers d’euros. Depuis 2020, la DREAL en a mené une quinzaine sur le site, en concluant toujours à la nécessité d’entreprendre des travaux pour ne pas laisser une usine si dangereuse se délabrer. En vain. Le maire de la ville, les habitants ou encore des associations écologiques se sont également mobilisés pour exprimer leur mécontentement face à l’inaction du groupe norvégien.
Mais la réponse de Yara fut brutale et inattendue. Le 30 octobre 2023, le groupe décide de fermer l’usine pour ne pas avoir à se conformer aux normes écologiques en vigueur. 139 personnes pâtissent de cette décision et vont perdre leur emploi. Surtout, Yara a fermé la porte à toute vente du site à un potentiel repreneur et souhaite bien le conserver pour le transformer en entrepôt de stockage. La raison invoquée est la position stratégique de l’usine sur le terminal du port pour l’importation d’engrais étrangers. Mais surtout, avant de vendre, il faudrait dépolluer. Installé depuis plus de 50 ans dans le paysage montoirin, Yara connaît bien la difficulté de la tâche, ainsi que les coûts à avancer pour un tel chantier, dont l’entreprise est responsable.
La transformation de l’usine ne dispense pas le groupe de se mettre aux normes. Et c’est bien ce que les agents de l’Etat souhaitent lui faire comprendre. Après l’annonce de la fermeture du site, le préfet avait demandé la réalisation d’une mission nationale pilotée par la DGPR (Direction Générale de la Prévention des Risques). Cette dernière a alors mené une visite des installations le 19 décembre. Dans ses conclusions la direction précise que « le rapport détaille plusieurs recommandations et observations visant à améliorer le niveau de sécurité des installations dans la situation actuelle mais surtout dans le cadre du plan de transformation ». La DREAL prend le relai et au cours d’une inspection, en date du 5 février, remarque que les travaux nécessaires à la remise en règle écologique du site n’ont toujours pas été effectués. Le 20 février, deux nouveaux arrêtés préfectoraux sont alors publiés. Le premier constate la présence sur le site d’un stockage de 7000 tonnes d’ammoniac, composé hautement inflammable et pouvant provoquer des brûlures de la peau et des lésions des yeux. Le deuxième arrêté vient mettre en exergue la non-conformité des installations électriques, et de celles de protection contre la foudre. La préfecture laisse donc à l’industriel un délai limité pour se remettre en règle avant de se voir, une nouvelle fois, sanctionné pour son cynisme écologique.
🔴Devant l’usine Yara à Montoir, la « colère » et l’amertume des salariés après l’annonce des 139 licenciements
— Presse Océan (@presseocean) November 23, 2023
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Un climat anxiogène pour les habitants à proximité du site
Cette situation, les riverains ne la connaissent que trop bien. Trois associations se sont d’ailleurs réunies pour pouvoir appréhender ce sujet sensible : l’ADZRP (Association Dongeoise des Zones à Risques et du PPRT), l’association des habitants du village de Gron et VAMP (Vivre à Méan-Penhoët). Ensemble, ils partagent leur inquiétude :
« C’est une usine qui fabrique des engrais à partir de nitrate d’ammonium. Ils en produisent, ils le stockent. Aujourd’hui ils en stockent 40 fois plus qu’à Beyrouth au moment de l’explosion. Cette entreprise n’a jamais respecté les normes auxquelles elle est soumise. Elle a laissé se dégrader les installations d’années en années. Il a toujours fallu des mises en demeure pour obtenir un minimum de travaux. Il y a ce risque d’explosion avec cette situation géographique de l’entreprise qui est entourée par une raffinerie à un peu moins de 2 km d’un côté et par un terminal méthanier de l’autre côté. Vous imaginez la réaction en chaîne… A côté de cela on a des pollutions récurrentes, des émissions de poussières hors normes, des émissions de phosphore et d’azote dans les eaux souterraines et qui s’en vont dans la Loire. »
Depuis déjà quelques années, ils essaient d’interpeller l’Etat quant à cette pollution incontrôlée : « On a commencé à se rendre compte de ce qu’il se passait et à s’inquiéter dans les années 2017, 2018, à l’époque des premières mises en demeure. On a commencé à se renseigner et on s’est rendu compte que l’Etat était au courant de ce qu’il se passait depuis plus d’une vingtaine d’années. Mais c’est à partir du moment où nos associations ont commencé à médiatiser cette situation, que les mises en demeure se sont rapprochées. Nous avons aussi eu le soutien assez rapidement du député, de certains maires et du sénateur. Mais la difficulté a été l’échelon de l’Etat avec la sous-préfecture, la préfecture et même le ministère. Le sénateur précédent avait beaucoup sollicité le ministère pour s’entendre dire que « oui oui le dossier est sur la pile », mais il est resté sur la pile et n’a pas été ouvert. »
Une situation d’autant plus difficile que les sanctions financières prononcées contre l’industriel semblent bien loin d’être suffisantes : « Une amende doit représenter quelque chose. Pour des gros comme Yara quand on vous inflige des amendes de 150 euros par jour, c’est peanuts. Vu l’ampleur des travaux, ils ont tout intérêt à payer des amendes. C’était beaucoup moins cher que d’investir réellement dans l’outil de travail. Notre demande est une suspension administrative, pour que l’Etat oblige l’industriel à se mettre dans les clous. Ce qui nous inquiète c’est l’entretien de ce site et comment on va contraindre cet industriel voyou à remettre en état avant de partir. C’est bien joli, on prolonge avec le stockage, on gagne du temps sur la dépollution et demain on fermera le stockage et on ira aux Etats-Unis ou en Angleterre. Et qui va dépolluer le site ? Cela sera encore à la charge du contribuable, si c’est l’Etat qui prend la main. »
S’ajoute à ce problème écologique majeur un enjeu humain : « Pour nous [ndlr : la fermeture de l’usine] ne peut pas être quelque chose de positif. On est aussi très conscient de la situation des salariés. 139 licenciements c’est quand même quelque chose d’important. Bien sûr que cela nous touche parce qu’on n’est pas là pour opposer écologie et emploi, pour nous les choses peuvent aller dans le même sens. Il ne faut pas se tromper de cible. L’industriel est le premier coupable de la situation et on commence à penser que l’Etat n’y est pas pour rien dans cette histoire. C’est l’échec d’une politique qui n’a pas été assez ferme pour contraindre l’exploitant à faire en sorte que son usine fonctionne dans de bonnes conditions, dans le respect des salariés car ce sont toujours les mêmes qui sont en première ligne, de la population et de l’environnement. Il y a une grande responsabilité de l’Etat. »
Pour les riverains, l’inquiétude est forte. Habitants à proximité de plusieurs sites dangereux, ils souhaitent une meilleure prise en compte de leur situation : « Quand vous laissez des non-conformités électriques perdurer dans un entrepôt, dans un hangar à proximité de produits explosifs, je serais tenté de dire que c’est criminel. »
Dépolluer un site, comment ça marche ?
Lors d’une fermeture d’usine, à l’enjeu humain et social s’ajoute parfois un autre point moins médiatisé : l’exigence de dépollution. Mais qu’est-ce que cela signifie ?
Emmanuel Gonzales, spécialisé en sites et sols pollués, vient apporter quelques réponses : « En France, la dépollution d’un site suit souvent un cadre défini, qui est le cadre LNE. Il faut, en premier lieu, s’assurer qu’il y ait bien des sources potentielles de pollution sur le site. La première partie est le domaine A qui a pour but de savoir sur quels polluants on pourrait tomber. Si on cherche au hasard cela coûte assez cher, on essaie donc de cibler pour rendre cela moins coûteux en termes d’analyse de données au laboratoire. Il y a donc des campagnes de prélèvements et des sondages, qui peuvent être effectués dans le sol à différentes profondeurs. Les résultats seront comparés avec des valeurs seuils, que l’on retrouve autour du site. Grâce à cela, on détermine s’il existe ou non une pollution. S’il y en a, on passe alors à un plan de gestion pour traiter les sols, soit directement sur place, soit par extraction afin d’atteindre les valeurs seuils”
En cas de vente, la dépollution devient un enjeu majeur : « L’acquéreur va forcément demander que le site soit dépollué avant qu’il arrive, sinon ce sera à lui de le faire. De plus, en fonction de l’usage, les réglementations ne seront pas les mêmes pour une usine que pour une résidence d’habitation. Outre les sols, des contrôles sont aussi réalisés sur les cours d’eau, dans un souci de santé publique.
Cependant, ces démarches ne sont pas toujours bienvenues pour les exploitants souhaitant se débarrasser d’un site et peuvent sembler contraignantes en termes d’organisation : « Parfois, les travaux débutent en même temps que nous sommes contactés. Nous arrivons chez des clients persuadés qu’il n’y a pas de pollution, nous faisons quelques relevés et nous démontrons le contraire. Dans ce cas, on doit leur dire qu’ils ne peuvent pas faire les travaux comme ils le voudraient, notamment quant à la gestion de leur terre. » Mais la contrainte est aussi économique : « Une dépollution coûte très vite plus de cent mille euros, cela se chiffre même parfois en millions. En termes de temps, le plus court que l’on peut faire est de 3 à 6 mois quand le site n’est pas très pollué. Mais dans d’autres cas cela est bien plus long, comme avec la phytoremédiation qui prend 20 ans. La contrainte est réelle, car pendant ce temps-là, le client ne pourra pas exploiter son site. »
Pour éviter de se lancer dans ces travaux de dépollution pourtant essentiels, certaines entreprises, comme Yara, décident donc de contourner les règles. Demeurant propriétaire de son site, le groupe ne compte toujours pas entreprendre un si gros chantier. Une décision dont pâtissent directement les riverains, mais également la nature environnante. Se pose donc la question d’une réglementation encore plus ferme pour empêcher ces industriels de délocaliser leurs usines, laissant derrière eux des terres inexploitables et dangereuses.
Le mercredi 13 mars dernier, les employés ont pourtant présenté un plan alternatif pour conserver leurs emplois. Ils souhaitent produire des engrais décarbonés, plus respectueux de l’environnement. En grève devant l’usine vendredi 22 mars, ils devraient avoir une réponse officielle à leur proposition le 28 mars.