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Disney: quand les salariés débrayent, Mickey déchante

Depuis trois semaines maintenant, les “cast members”, nom donné aux salariés de Disneyland Paris, vont de grève en grève. De quelques dizaines début mai, ils étaient 1600 samedi 3 juin à défiler dans le parc d’attractions, perturbant le bon déroulement des festivités. Applaudis par certains visiteurs, maudits par les autres, ils demandent une revalorisation de leurs salaires adaptée à l’inflation actuelle et de meilleures conditions de travail.
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Une grève spontanée, massive, historique

La dernière “grande” grève au pays de Mickey remonte à septembre 2006. Une centaine de salariés de la maintenance avaient tenu une semaine en empêchant la parade traditionnelle et en organisant des opérations « tickets gratuits », avant de suspendre leur mouvement sans obtenir gain de cause. Leurs revendications de l’époque : une revalorisation des salaires de 200€ mensuels, le doublement de la prime de nuit et la création d’une prime pour le dimanche.

17 ans plus tard, Picsou est toujours aux manettes chez Disney. Alors que la multinationale enregistre un chiffre d’affaires record de 2,6 milliards de dollars (2,4 milliards d’euros), les employés sont complètement oubliés par la direction du parc. Une situation qui fait écho à celle vécue par les salariées de Vertbaudet qui, malgré une entreprise en bonne forme, voient leur fiche de paie inchangée.

Chez Disney, la colère des salariés vient d’un ras-le-bol général avec des emplois du temps irréguliers et éreintant, des salaires trop bas face à l’inflation, l’absence de prime et de considération de leur travail. D’habitude, la culture de l’entreprise est de penser avant-tout au bien être des visiteurs. Mais les petites mains du parc dénoncent une dégradation des conditions de travail, notamment depuis la fin de la pandémie. Cette colère gronde en coulisse depuis quelque temps, mais la différence avec les précédentes contestations est bien la spontanéité du mouvement ainsi que son ampleur; du jamais vu.

Main Street, Samedi 3 juin. Crédit @DLPReport - Twitter

Quatre journées de débrayage…

Mi-avril 2023, quelques salariés de la maintenance se réunissent et fondent le Mouvement anti-inflation (M.A.I.). Ce mouvement à l’initiative des salariés prend de l’ampleur et se structure via un groupe Whatsapp. Ils sont 200 à manifester le 10 mai 2023. Rejoints par les organisations syndicales dans un second temps et les employé(e)s des spectacles, ils sont 500 le mardi 23 mai. 

Face à une médiatisation grandissante du mouvement, de premières négociations commencent le 26 mai. Pour tenter d’apaiser le vent de révolte, la direction ruse et propose une prime de 125€ et la possibilité de modifier le choix de récupération des heures supplémentaires. Comme le résume très bien L’insoumission: ces propositions signifient “travailler plus pour gagner plus de primes”. Disney propose également à ses salariés la possibilité de demander l’échelonnement de la seconde moitié du 13e mois de juillet à décembre : en bref du vent.

Les salariés ne se laissent pas berner par ces mesurettes et sont encore plus à se mobiliser le mardi 30 mai. Le samedi 3 juin, leur nombre dépasse les 1600 à défiler à travers Disney Paris. Sur leurs pancartes, on peut lire “la parade c’est nous”. Alors que la manifestation du mardi a peu perturbée le fonctionnement du parc, celle de samedi a poussé l’annulation de la plupart des spectacles, et perturbé la parade. 

Le 6 juin, parallèlement à la 14e mobilisation contre la réforme des retraites, les salariés ont de nouveau défilé dans les allées du parc. Si la mobilisation est moins impressionnante que le samedi précédent, les motivations restent identiques.

Samedi 3 juin, en tête du cortège, la bannière du mouvement anti-inflation MAI. A gauche: 200 euros pour tous. Les grèves deviennent réalité. A droite: Natasha (Rafalski, présidente du parc), look! This is the real world, not a pixie dust - Natasha regarde! C’est la vraie vie, pas de la poudre magique. Crédit @DLPReport - Twitter

…pour que la direction sorte du silence

Malheureusement, la direction ne semble pas avoir saisi l’enjeu qui se jouait au sein de la première destination touristique d’Europe. Un communiqué de l’UNSA du 4 juin, “Picsou déclare la chasse aux grévistes ouverte”, dénonce des tentatives pour “tuer le droit de grève” et interpelle la Direction Générale. Des “teams leaders” auraient été chargés d’intimider, de menacer et de mettre à l’écart des grévistes. La direction est restée muette sur le sujet.

Pour répondre au “partage inégale de la valeur dans un contexte d’inflation”, la direction assure avoir rehaussée les salaires de 5,5% pour 82% du personnel et gelé les prix de la restauration en 2023. Le 5 juin dernier, Natacha Rafalski, présidente de Disneyland Paris est sortie du silence et a attisé la colère des grévistes lors d’une prise de parole maladroite mêlant mépris, manque de sincérité et de considération. Elle développe notamment les difficultés financières de l’entreprise à cause de l’inflation et de la pandémie, et se félicite également d’être “parmi les entreprises les plus performantes en termes d’augmentation du pouvoir d’achat”.

Une autre réponse apportée par la direction est le recours à une entreprise de sécurité privée pour encadrer la manifestation, “protéger les visiteurs”, et surtout éviter tout mélange gréviste-public. Environ 90 agents étaient déployés mardi 30 et 150 le samedi 3 juin. L’utilisation d’agents de sécurité extérieurs pour maintenir l’ordre a d’ailleurs engendré des tensions, comme en témoigne ces vidéos postées sur Twitter par le syndicat UNSA.

Les revendications

Les témoignages de salariés pour dénoncer les salaires bas affluent: beaucoup d’employés sont au SMIC, quand d’autres, après 20 ou 30 ans de parc, plafonnent encore à 2000€ par mois. On peut lire sur certaines pancartes lors des défilés: “cinq ans à trimer pour la souris, toujours payé comme un rat”. On se souvient également du scandale sur les conditions de travail des femmes de ménage du parc en février 2022. 

Les salariés réclament 200 euros net d’augmentations pour les 17 000 employé(e)s du parc, mais aussi les dimanches payés doubles, le doublement des indemnités kilométriques et l’arrêt des “horaires choisies“. Ahmed Masrour, Délégué syndical UNSA, explique aux micros de Ouest France: “Aujourd’hui les salariés non-cadres peuvent travailler 10h d’affilée, enchaîner des tranches horaires du soir puis du matin, et tout ça avec des jours de congé non-consécutifs”. En effet, ce système permet aux supérieurs d’adapter à leur convenance l’emploi du temps des salariés, tant que les 35h hebdomadaires sont respectées.

Toutefois, les salariés ont obtenu l’ouverture anticipée des Négociations Annuelles Obligatoires 2024 (NAO) à fin août au lieu de septembre-octobre comme d’habitude. 

 

Certains salariés sont peu optimistes quant au dénouement de cette crise, comme l’explique Georges Oliveira, salarié de la maintenance de nuit, “la direction va jouer le pourrissement. On n’aura sans doute pas nos 200 euros”. Mais la motivation est au rendez-vous et ils comptent bien ne pas se laisser endormir par les contes de fées de la direction.

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