Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Adisseo, nouveau fleuron français sur la sellette 

Le couperet est tombé le 22 janvier dernier chez Adisseo Commentry (Allier), une entreprise spécialisée dans la production d’additifs pour l’alimentation animale. L’atelier de fabrication de méthionine en poudre ne redémarrera pas. La direction a annoncé par voie de presse la suppression de 47 des 330 emplois du site. La menace pesait depuis octobre 2022 alors que l’atelier avait été mis en veille en attendant un contexte économique plus favorable.
Partager
A l'appel de la CGT, une quarantaine de personnes ont bloqué l'accès à l'entreprise Adisseo à Commentry (Allier) le 23 mars 2023 à l’occasion d’une mobilisation contre la Réforme des retraites. Crédit: @La Montagne

Adisseo est une entreprise historique de Commentry. Elle s’y est implantée en 1939 sous le nom d’Alimentation Équilibrée déjà spécialisée, à l’époque, dans la fabrication d’additifs pour le bétail. C’est ici “que la synthèse de la méthionine a été inventée et développée” raconte Sylvain Bourdier, maire de la ville. Fleuron français, elle prend le nom d’Adisseo en 2002 avant d’être rachetée en 2006 par la société d’Etat chinoise BlueStar. Numéro trois mondial dans le domaine des compléments alimentaires animaliers en 2010, l’ambition du groupe est de devenir le leader mondial du marché. Adisseo dispose alors de quatre sites en Europe: Commentry (Allier), Saint-Clair-du-Rhône (Auvergne-Rhône-Alpes), Roches-Roussillon (Isère), et Burgos (Espagne).

En 2024, les craintes se confirment

Le 5 décembre 2022 alors que l’atelier méthionine de Commentry avait été mis sous cocon, Maxime Pampaloni, secrétaire CGT chez Adisseo, déclarait dans l’hebdomadaire locale La Semaine de l’Allier :  “Nous craignons que cet arrêt provisoire ne débouche sur un arrêt définitif et que le motif de la hausse du coût de l’énergie et des matières premières ne soit qu’une excuse de la part de la direction générale basée à Antony.” La réalité lui a donné raison malgré les promesses de la direction de redémarrer la production entre avril et mai 2023. 

D’abord mis à l’arrêt pour faire face à “l’augmentation des coûts de l’énergie” et “un marché de la méthionine en chute”, la direction a dû revoir sa copie pour justifier la fermeture définitive prévue pour octobre 2024. Couplés au prix de l’énergie, le site ne serait “plus assez compétitif à l’échelle européenne” et les coûts de production « structurellement plus élevés que ceux de la plateforme industrielle de Roches-Roussillon, de l’ordre de 15%”. Sébastien Ferard, directeur de l’usine de Commentry, met également en cause la taille du site, deux fois inférieure à celle de Roches-Roussillon qui produit la méthionine liquide et jusqu’à dix fois plus petite que d’autres unités à l’étranger.

Des salariés dans l’incompréhension

L’incompréhension des salariés sur cette vague de licenciements est triple. D’abord, pour Maxime Pampaloni, “le tri, [a été] fait il y a un an” lorsque l’atelier s’est retrouvé à l’arrêt. “Ils ont laissé partir des gens, il y a eu des démissions, il y a eu des départs en retraite, il y a eu des licenciements, plus les intérimaires…” poursuit-il.

Ensuite, “il y a un petit jeu de communication de la part d’Adisseo qui a annoncé par voie de presse 47 suppressions d’emplois,” confie Laurent Indrusiak, secrétaire de l’UD CGT à Montluçon (Allier), “nous, à la CGT, on dit qu’il y aurait 96 suppressions d’emplois car la direction met en place des plans de départs volontaires, d’accompagnement à des changements d’activité, des créations d’entreprises, donc c’est par ce biais qu’ils entendent arriver à 47 suppressions nettes d’emplois.” De son côté, Sébastien Ferard, directeur de l’usine assure que “le chiffre de 96 ne prend pas en compte les nouveaux postes créés” et “qu’il y aurait bien 47 employés en moins” à terme.

Enfin, l’annonce de la direction n’est pas recevable pour les salariés de l’usine commentryenne, car depuis un an et demi, “tout le monde travaille, tout le monde a un poste de travail, personne ne fait rien, ça n’est pas compréhensible”, explique Maxime Pampaloni. L’analyse de Laurent Indrusiak converge, “un APDL – Activité partielle de longue durée – avait été proposé mais jamais mis en œuvre, sans explication. Les salariés avaient alors été déployés sur les autres ateliers”, preuve pour les deux hommes que le site a besoin de tout le monde.

L’inquiétude des salariés est d’autant plus grande que les dernières annonces de la direction laissent à penser que la suppression des 96 postes se fera parmi les 330 salariés du site et pas uniquement parmi ceux de l’atelier méthionine.

 

Un air de déjà vu

En 2013, BlueStar, qui avait acheté Adisseo en 2010, met en service une première usine de méthionine à Nanjing en Chine sur une surface équivalente à 15 terrains de football. Face à un marché en pleine expansion et toujours dans l’optique de devenir leader mondial du secteur, la maison-mère acquiert Nutriad, spécialiste belge des additifs pour la nutrition animale en 2017. Rebelote en 2020 avec le rachat du hollandais FRAmelco. Entre-temps, une seconde unité de production de méthionine est annoncée pour mi-2021 à Nanjing.

L’actualité de l’atelier de méthionine fait écho sur plusieurs points au dossier Valdunes. Des fleurons français, rachetés par des sociétés d’Etat chinoises et dont l’activité finit par être réduite à peau de chagrin en France. Laurent Indrusiak l’affirme: “Il y a de vraies similitudes. On sent la stratégie dans les annonces, ils viennent siphonner les entreprises et les marchés”. Parallèlement à la baisse d’activité sur les sites de l’Hexagone, la production s’intensifie sur les terres chinoises, qui n’hésitent pas à construire leurs propres unités de production.

Sur le site de Commentry, seule la fabrication de Vitamine A et de Smartamine, un autre additif alimentaire, subsiste. Inauguré en 2015 dans l’Allier, ce dernier atelier semble aussi menacé, alors que le groupe chinois est en train “de construire une usine de Smartamine en Chine qui devrait être fonctionnelle en 2027. Cela laisse supposer qu’une fois l’usine opérationnelle, on pourrait assister au même tour de passe-passe…” avance Laurent Indrusiak.

Le maire de Commentry assure mettre tout en œuvre pour garantir la pérennité du site et n’hésite pas à exprimer son amertume. “La voir [la méthionine] aujourd’hui développée ailleurs par le groupe provoque quand même un peu d’amertume à la fois chez les salariés actifs, les salariés retraités et une partie de la population.”

 

En attendant, depuis la fermeture de l’atelier en octobre, les salariés se mobilisent pour garder leur travail et alerter sur le désastre économique que serait la mort à petit feu du site pour le bassin d’emploi.

A LIRE