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Ryanair : le mirage irlandais

Mardi 14 mai, Ryanair a annoncé la fermeture de sa base de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac en raison de “l’augmentation des coûts”. Pourtant, la compagnie a enregistré un bénéfice annuel record de 2 milliards d’euros en 2023. Une information qui passe mal auprès des 90 salariés concernés, mais qui fait pleinement partie de la stratégie de la compagnie aérienne pour se soustraire au droit français. Explications.
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Ryanair est la compagnie préférée des français. 200 destinations, tarifs compétitifs, la compagnie irlandaise est rapidement devenue la plus rentable d’Europe. Tom Cariou, journaliste, a enquêté pendant un an sur la compagnie low cost pour mettre au jour l’envers du décor dans un reportage, Sous haute pression, le système Ryanair”. Un trompe l’œil qui cache des conditions de travail intenses, des salaires bas et un management brutal souvent pointé du doigt. Une constatation qui fait écho aux propos de son PDG, Michael O’Leary, prononcé lors d’une conférence en 2015:  “Terroriser les gens, c’est généralement la manière la plus efficace de les motiver”.

L’optimisation à tout prix

Le fonctionnement de Ryanair est basé sur l’optimisation, qui commence bien avant le décollage. Les bases de la compagnie sont souvent installées là où les redevances aéroportuaires sont les moins élevées, par exemple à Beauvais, au nord de Paris, elles sont dix fois moins chères qu’à Roissy ou Orly. La flotte est essentiellement composée d’un unique modèle, le Boeing 737, facilitant ainsi la maintenance et la formation des pilotes. Les rotations des avions sont précisément calculées, et les escales courtes. Les personnels navigants commerciaux (PNC) basés à Beauvais peuvent enchaîner jusqu’à 4 vols par jour et rentrer chez eux le soir.

En plus d’une politique stricte sur le supplément bagage, tout est payant à bord et la vente commence quelques minutes après le décollage. Avec des prix aussi compétitifs qu’un Bordeaux – Londres à 15 euros, la compagnie est bien obligée de faire des bénéfices quelque part.

Ainsi, les hôtesses et les stewards disposent d’un terminal de paiement qui enregistre chaque vente effectuée avec un objectif, “target” dans le jargon. Ils se voient attribuer un smiley content si la “target” est atteinte, et inversement s’ils se retrouvent en dessous de leur objectif. Un système qui n’étonne pas dans ce genre d’entreprise. En mettant ses salariés en concurrence, la compagnie crée une compétition qui permet d’accroître ses ventes. A la clé, une invitation à la remise des prix du Ryanair Oscars et de multiples cadeaux. Au contraire, les “mauvais vendeurs” sont convoqués par leurs supérieurs ou au siège social à Dublin pour un entretien. L’enquête révèle que certains PNC seraient alors tentés d’acheter eux-mêmes des produits afin de remplir leur objectif de vente.

La compagnie a augmenté ses revenus (hors vente de billets) de 175% depuis qu’elle a adopté ce système d’enregistrement.

Entretien du flou juridique

La compagnie low cost affecte le flou juridique des lois et n’hésite pas à exploiter la moindre faille qui peut lui permettre de diminuer sa masse salariale et maximiser ses profits. Outre le “dumping fiscal”, la compagnie n’hésite pas à pratiquer le “dumping social” : certains salariés étaient déclarés à l’adresse du siège social de Ryanair en Irlande alors que leur contrat de travail mentionnait une adresse française. Pourtant, un décret de 2006 prévoit que toute entreprise aérienne ayant une base en France soit dans l’obligation d’appliquer le code du travail français.

En 2007, Ryanair ouvre sa première base en France à Marseille, mais elle ne déclare son activité ni auprès du registre du commerce, ni auprès de l’URSSAF. Les 127 salariés sont ainsi soumis au droit irlandais, et les charges sociales sont payées à l’administration irlandaise. Une stratégie visant à contourner le décret de 2006. Mis en cause en 2011, notamment sur ce point, Ryanair a prétendu utiliser Marignane uniquement de lieu d’embarquement et de débarquement de passagers.

Une compagnie qui n'aime pas le conflit

La stratégie de l’entreprise ne s’arrête pas là. Pendant longtemps, la compagnie irlandaise a cherché à se soustraire à ses obligations.

En 2011, elle est mise en examen pour travail dissimulé, emploi illicite, d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise et de l’exercice du droit syndical sur la période 2007-2010. Ryanair décide alors de fermer sa base de Marseille. En 2013, elle est condamnée par le tribunal d’Aix-en-Provence à une amende de 200 000 euros pour travail dissimulé et à verser plus de 9 millions d’euros de dommages et intérêts réparties entre salariés et l’administration française. La compagnie se pourvoit en Cassation et la Cour annule la condamnation en 2018. Ryanair décide alors de rouvrir sa base marseillaise et de développer son activité sur l’Hexagone et s’installant à Bordeaux, Toulouse et Beauvais.

Ryanair est finalement condamné en 2023. Elle s’est conformée au droit français et a finalement accepté de signer plusieurs accords avec des syndicats de pilotes et de PNC. Toutefois, la compagnie dispose de plusieurs autres compagnies elles-aussi basées à l’étranger qui lui permettent de contourner certaines réglementations et de bénéficier d’avantages fiscaux. C’est la cas de Malta Air, qui assure les avantages de la réglementation fiscale locale, notamment un taux de 0% sur les ventes réalisées hors de l’île. 

Derrière ces fermetures et ouvertures au gré des vents, la compagnie invoque quasi systématiquement le motif économique : augmentations des coûts, baisse de la rentabilité, durcissement des lois, …

Les salariés de la compagnie craignent de rester la variable économique de l’entreprise, licenciable au gré des fermetures. Parallèlement, Ryanair parvient à obtenir la bénédiction du gouvernement, promettant investissements, croissance et emplois. Alors qu’elle vient de battre son record de rentabilité, la compagnie irlandaise a promis le recrutement de 100 hôtesses et stewards en France et s’est fixé pour objectif de transporter 300 000 millions de passagers par an d’ici 10 ans.

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