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Liquidations judiciaires, grèves, maltraitance, quel avenir pour les EHPAD ?

Depuis quelques années, les EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) traversent une crise causée par des scandales à répétition. Encore aujourd’hui, certains établissements font les frais du manque de moyen investi par les géants du domaine, et de leur recherche perpétuelle de rentabilité au détriment des résidents. C’est le cas des 43 établissements que possède le groupe Médicharme, placé le jeudi 29 février en liquidation judiciaire. C’est également le cas de l’EHPAD Arc-en-ciel de Bezons, dont les salariées luttent pour offrir aux personnes âgées des conditions de vie décentes.
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Rassemblement devant l'EHPAD Arc-en-ciel à Bezons

Des faits de mauvais traitements récurrents

En 2022, Victor Castanet publiait Les Fossoyeurs. Dans cet ouvrage coup de poing, il raconte ses trois années d’investigation au sein des EHPAD du groupe Orpea. Maltraitance, malnutrition, surmenage des soignants, gestion comptable désastreuse, autant de faits qui provoquent la colère des familles mais qui tirent aussi la sonnette d’alarme pour le gouvernement. Le groupe, leader européen des maisons de retraite, détenant 1156 établissements dans 23 pays différents, croule sous les plaintes des familles. Peu après la publication de l’ouvrage de Victor Castanet, le gouvernement avait convoqué les patrons d’Orpea et lancé deux enquêtes pour confirmer la véracité des faits avancés par l’auteur. Il avait également assuré vouloir renforcer les contrôles dans les maisons de retraite. 

Deux ans après ce scandale, force est de constater que la situation n’a pas vraiment évolué. En 2022, le groupe Korian a également été visé par des dizaines de plaintes pour des faits de « mise en danger de la vie d’autrui », de « non-assistance à personne en danger » et « d’homicide involontaire ». En 2023, le groupe Emera avait lui aussi été confronté à plusieurs dénonciations, provenant de familles consternées ou encore de personnels épuisés. Là aussi, des cas de maltraitance sont presque quotidiennement relevés, bien qu’ils soient contestés par la direction. Peu après le scandale Orpea, des témoignages sont venus dénoncer de nouvelles situations plus que problématiques dans leurs établissements. Fin 2023, une enquête de 60 millions de consommateurs révèle que les repas servis aux personnes âgées sont médiocres, tant en qualité qu’en quantité. 30% d’entre eux seraient même en situation de dénutrition. Le groupe Médicharme lui-même fait face à des dénonciations de maltraitance et des interrogations quant à la gestion de ses subventions publiques. Une enquête a été diligentée par l’IGAS (inspection générale des affaires sociales) et l’IGF (inspection générale des finances); les conclusions sont attendues dans les prochains mois. 

Le gouvernement affirme pourtant tenir promesse quant aux contrôles. Aurore Bergé avait ainsi indiqué que leur nombre était passé « en moyenne, d’un tous les 20 ans avant l’affaire Orpea à un tous les deux ans aujourd’hui« . Système visiblement insuffisant pour un milieu souffrant d’un manque cruel de moyens et de personnels. 

Ce mercredi 20 mars, le groupe Orpea a par ailleurs annoncé changer de nom pour se nommer Emeis, afin d’échapper à la mauvaise réputation qu’il a pourtant justement acquise. A l’instar du traitement qu’il réserve à leurs résidents, le groupe préfère une nouvelle fois masquer le problème pour ne pas avoir à le traiter. 

Un contexte dont découle en partie la situation financière de Médicharme

C’est dans ce contexte difficile que le groupe Médicharme a été placé jeudi 29 février en liquidation judiciaire avec maintien de l’activité. 43 établissements, dont 37 EHPAD, sont menacés. 1230 employés, 2000 résidents ainsi que leurs familles s’interrogent et s’inquiètent. La direction explique cette situation critique par une crise de confiance due aux scandales ayant traversés le milieu, mais également à la crise Covid qui aurait engendré un taux d’occupation plus faible. S’ajoute à cela l’augmentation des charges liée à l’inflation et le manque de personnel entraînant l’embauche plus systématique d’intérimaires moins formés et donc moins qualifiés. 

Les difficultés du groupe sont déjà connues depuis quelques mois. Fragilisé économiquement, il a aussi dû essuyer quelques scandales. Dans le Lot-et-Garonne, une inspection menée par l’ARS (agence régionale de santé) avait relevé “11 injonctions, 4 prescriptions et 13 recommandations auxquelles l’établissement doit apporter des réponses et des corrections”. En avril 2023, une grève de 71 jours avait eu lieu à l’EHPAD des Deux-Sèvres pour réclamer un poste d’aide-soignant en plus la nuit, une augmentation de salaire et une meilleure formation. Sur les 7 personnes ayant participé à ce mouvement de grève, une avait fait l’objet d’une procédure de licenciement et deux autres de plusieurs avertissements. 

S’ajoute à cela l’enquête ouverte l’an passé et qui se concentrera sur les « pratiques commerciales, financières et managériales » de l’entreprise, le « temps de présence effectif des personnels » auprès des résidents, ainsi que sur les « modalités de signalement » d’incidents.

Des salarié.es en lutte pour leurs droits et ceux des pensionnaires

Lundi 4 mars, les employées de l’EHPAD Arc-en-ciel de Bezons se sont mises en grève. Épuisées, elles dénoncent leurs conditions de travail en sous-effectif. Repris en 2020 par le groupe MAPAD, l’établissement n’a pas pris la peine d’agrandir l’équipe. Certains jours, seulement 5 soignants sont présents pour 60 résidents. Une situation qui ne permet pas de s’occuper de toutes les personnes âgées dans de bonnes conditions. 

Mais les revendications ne s’arrêtent pas là. Pour pouvoir effectuer correctement leur travail, les employées demandent du matériel neuf ou de meilleure qualité, ainsi qu’une revalorisation de leur salaire, et le paiement de toutes leurs heures d’astreintes. Elles somment le groupe d’arrêter leurs promesses non-tenues et demandent “du respect pour les salariés”. Au manque de reconnaissance dont elles sont victimes, s’ajoute un “management par le stress” et une pression de la part de groupe qui envoie des “assignation au tribunal lorsque [qu’elles demandent] une expertise sur nos conditions de travail”. 

Sans oublier que le métier qu’elles exercent est vecteur de nombreux accidents du travail ou maladies professionnelles. Les troubles musculo-squelettiques sont très courants en raison des charges à porter et des positions inconfortables auxquelles le personnel est confronté. Travailler moins nombreux.euses et avec un équipement de mauvaise qualité, c’est augmenter les pressions sur le corps et les risques sur la santé. 

Après 18 jours de grève “tumultueuse et de négociations acharnées”, elles obtiennent enfin gain de cause. Grâce à leur mobilisation, le groupe promet une “amélioration réelle de la prise en charge des résidents”. Cette amélioration va passer par une plus grande considération des salariées, notamment en recrutant à nouveau du personnel et en proposant des formations d’aides-soignantes aux auxiliaires de vie. Les salaires seront eux aussi revalorisés, pour enfin représenter l’investissement de toute l’équipe qui encadre cet établissement. Le matériel défectueux sera remplacé, et les employées pourront même avoir accès à une salle de repos. 

Cette victoire obtenue par l’équipe de l’EHPAD Arc-en-ciel va également profiter à tous les résidents, ainsi qu’à leur famille. C’est bien souvent le manque de considération apporté au personnel qui cause la maltraitance. Fatigué.es, en sous-effectif et pas entendu.es par leur directions, les employé.es de ces établissements ne peuvent tenir le rythme qu’on leur impose. 

La crise dont souffrent les EHPAD n’est pas seulement financière, elle est principalement humaine. Refuser d’investir dans du personnel qualifié, c’est accepter de considérer les personnes âgées comme une marchandise, et les établissements comme des usines. 

C’est ce modèle de marchandisation qui est aujourd’hui questionné face aux trop nombreuses dérives. Alors, quel avenir pour les EHPAD ? Plus généralement c’est la place des personnes âgées au sein de nos sociétés qu’il faut repenser.