Une stratégie ferroviaire totalement absurde
Le Fret SNCF, la principale entreprise ferroviaire en charge du transport des marchandises, est sur la sellette. Attaqué de toute part depuis l’ouverture du marché à la concurrence en 2006, le gouvernement et la SNCF pourraient liquider l’entreprise. Pourtant, pour Éric (Sud-Rail) depuis 20 ans dans le Fret, “l’ouverture de la concurrence est un échec complet. Le report modal vers la route est énorme: tous les ans il y a de plus en plus de camion sur les routes et de moins en moins de train sur les rails”.
Toujours est-il qu’après une plainte déposée à la commission européenne pour concurrence déloyale, du fait de subventions reçus de la part de l’État par le FRET SNCF, la Commission exige le remboursement de cette dette qui s’élève à 5,3 milliards d’euros. Pour faire face à cela, le gouvernement veut casser l’entreprise et ouvrir 30% du marché des transports ferroviaires dès janvier 2024 à des entreprises privées, qui n’existent pas encore pour la plupart. Anasse Kazib, cheminot et syndicaliste chez Sud-Rail, précise que plus de 450 emplois sont menacés et que si une liquidation du fret a lieu, que le triage et les voies de services sont fermées pour être donnés à la concurrence, ce sont également des emplois en moins pour les postes d’aiguillage et pour les camarades de l’équipement.
En plus de voir “leur outil cassé”, il y a un grand risque de voir une partie du marché du fret se tourner vers le transport routier, beaucoup plus polluant.
Bruxelles, as-tu perdu la tête ?
Le Fret ferroviaire français n’est pas le seul à mettre un genou au sol face aux assauts répétés des concurrents aux transports ferroviaires publics: l’Allemagne et l’Italie sous le coup d’une procédure, alors que la Roumanie a dû trouver une solution pour sauver son entreprise nationale. Margrethe Vestager, vice présidente exécutive de la commission européenne déclarait : “Fret SNCF a subi pendant une longue période des pertes annuelles très importantes couvertes par l’État au détriment des concurrents qui n’ont pas eu accès à un tel soutien”.
Les trois plaintes, déposées par ces concurrents, pourraient donc amener au démantèlement de l’entreprise FRET SNCF telle qu’elle existe à l’heure actuelle. Cette non conformité aux règles européennes en termes d’aides de l’Etat semble être un non sens absurde, alors que ce transport moins polluant devrait être privilégié et que la France est déjà en retard par rapport à d’autres pays sur le développement des infrastructures. La filière est même dans le vert depuis deux ans, en 2021 et 2022. Alors qu’il faudrait développer, investir avec l’Etat dans un secteur clef relevant de la transition énergétique, Bruxelles sanctionne et le gouvernement acquiesce.
Ce qui a fait monter la tension d’un cran, c’est la visite il y a trois semaines de Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, et de Clément Beaune, Ministre chargé des Transports, qui sont venu à la rencontre des dirigeants et des travailleurs du Fret et de l’aiguillage. S’ils ont annoncé des aides de l’Etat pour le FRET, celle-ci s’adressent essentiellement aux entreprises privées qui reprendraient les parts de marché de la SNCF. Pour les cheminots et cheminotes présents, il n’est pas concevable que le Bourget soit la place des patrons et la place du gouvernement surtout pour faire du discours patronal, “parce que le Bourget est la place des travailleuses.eurs”, poursuit Anasse.
Soutien des mouvements écolos et des travailleurs dans le flou face “un désastre écologique et social”
Face à cette menace, l’intersyndicale est soudée et appelle à sauver le FRET ferroviaire. “La bataille du Fret doit être la bataille des cheminots. On espère qu’à Miramas, à Woippy, à Somain, à Chambéry, partout en France où il y a des camarades du Fret, qui auraient pu être résignés […] se disent, le Bourget nous a peut-être montré la voie”, harangue Anasse.
Les cheminots et cheminotes des autres branches sont aussi inquiets et mobilisés face à la propagation des privatisations qui pourraient mettre en péril les emplois et les conditions salariales. Une militante Sud déclarait ce matin que “face à la menace du Fret public ferroviaire les cheminots sont main dans la main avec les écolos pour faire face au gouvernement”. Gabriel, porte-parole d’Alternatiba Paris, a apporté tout son soutien au mouvement du Bourget, rappelant que Fret SNCF et plus généralement les travailleurs et travailleuses du rail sont “la pointe avancée de la transition écologique”.
Plus inquiétant, comme l’ont rappelé les preneurs de parole du jour, liquider le Fret qui a obtenu de l’argent public, ouvre la porte à liquider TER qui a également obtenu de l’argent public, tout comme RER et TGV. C’est la maison mère du transport ferroviaire qui est attaquée. Pour Eric, le ferroviaire doit devenir “véritable outil public”. Mais il semblerait que le gouvernement en ait décidé autrement, et cette mouvance fait écho à l’inaction des pouvoirs publics dans la fermeture des usines Valdunes, fleuron de la fabrication du matériel roulant.