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Dernières chances pour sauver Valdunes ?

Le 4 mai dernier, Valdunes est lâché par son actionnaire chinois MA-Steel, synonyme de licenciement pour les ouvriers si une solution n’est pas trouvée. La mobilisation est forte et remonte aux sommets de l’Etat, alors qu’Emmanuel Macron vient présenter son projet pour la réindustrialisation du pays à Dunkerque. Pour les 340 ouvriers de l’usine de Trith-Saint-Léger (Valenciennes) et de la forge de Leffrinckoucke (Dunkerque), le compte à rebours est lancé pour sauver les emplois.
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Rassemblement des salariés de Valdunes devant le Conseil Régional des Hauts-de-France le 5 octobre. Crédits @Débrayage

(In)gérance chinoise

En 2014, Valdunes est racheté au groupe allemand Gutehoffnungshütte (GHH) par le chinois MA-Steel, géant du ferroviaire, lui-même racheté par l’Etat chinois en 2019. 

Avec un dossier prometteur, la direction chinoise tablait sur un investissement de 150 millions d’euros dans Valdunes afin de moderniser l’outil et d’installer de nouvelles machines. En 2023, ce dernier se désengage de Valdunes: la trésorerie est au plus bas et cette somme a seulement permis de recapitaliser Valdunes. Aucun investissement réel n’a été réalisé depuis deux décennies et Valdunes est au bord du dépôt de bilan.

Ce n’est malheureusement pas une surprise pour Ludovic Bouvier, de la CGT Métallurgie: “ces situations, ont les connait. Ils rachètent les entreprises, mais finalement, on ferme quand même des dizaines d’usines centenaires chaque année, des entreprises très performantes pourtant”, puis “ils repartent avec la mise de départ, les deniers publics du contribuables et le savoir-faire”.   

Lors du rachat par les chinois en 2014, Valdunes comptait 500 salariés, contre moins de 350 aujourd’hui. Des départs non remplacés et un quasi gel des embauches en 2021 sont notifiés dans un rapport Apex sur la politique sociale de l’entreprise: “l’effectif interne de MG Valdunes a diminué de façon importante (-20%) depuis le rachat de l’entreprise par MA-Steel”.

Un autre rapport Apex sur la situation économique et financière 2021 et les perspectives alerte sur la baisse d’activité de l’entreprise qui chute de 56.458 roues forgées en 2019 à 20.034 en novembre 2022. En effet, le groupe chinois gère l’approvisionnement en acier à hauteur de 49% en 2022. Des retards de livraison sont pointés du doigt, et ”si ces derniers devaient se poursuivre, ils empêcheraient l’entreprise de réaliser une partie conséquente de l’activité prévue pour 2023” . Pour le moment, l’actionnaire chinois a consenti à réapprovisionner partiellement la forge de Leffrinckoucke. Les salariés les plus optimistes pensent avoir assez de matériel pour travailler jusqu’en décembre.

De plus, le carnet de commande a été siphonné par MA-Steel. Selon son rapport d’activité 2022, le groupe annonce l’export de Chine de 183.000 roues, soit une augmentation de 21,9% sur un an, réalisée au détriment de l’activité de Valdunes. A titre d’exemple, une commande de 12.000 roues de Naledi, un client sud-africain de Valdunes, aurait finalement été réalisée en Chine “compte tenu de la hausse des prix logistiques et de l’acier” selon la direction. Pourtant cette commande aurait permis de “compenser en tout ou partie le recul en termes de production en 2021”.  

Mandaté par le Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, le cabinet Grant Thornton a été chargé d’effectuer “la revue indépendante de la situation historique 2021 et des perspectives 2022 – 2025 au plan financier et industriel de la société MG-Valdunes” et il est apparu que “les données financières au 31 décembre 2021 ne relev[ait] d’une situation auditée. Autrement dit, le commissaire aux comptes n’a pas validé les comptes de Valdunes depuis deux ans, et ce pour des raisons encore inconnues.

Pas de repreneur à l’horizon

Pas moins d’une dizaine de dossiers ont été déposés au tribunal de commerce de Valencienne pour s’offrir Valdunes. Quasiment toutes les offres dissociaient la forge (site de Dunkerque) et le centre d’usinage (site de Valenciennes) : une option inenvisageable pour les salariés, « ça n’aurait plus de sens ». Seul un investisseur allemand, Navigator Group, est arrivé avec un projet de reprise des deux sites. Mais pour Ludovic Bouvier, “ si les Allemands reprennent, c’est le coup de grâce” avec une fermeture définitive probable dans les 2 ou 3 ans. Le problème est que MA-Steel est toujours aux commandes et s’ils choisissent de vendre, personne n’aura son mot à dire. Une vente peu probable, car elle reviendrait à laisser place nette à un concurrent direct, Valdunes constituant l’unique tête de pont chinoise en Europe dans ce domaine…

C’est aussi pourquoi la CGT rappelle une nouvelle fois qu’une nationalisation temporaire pourrait soulager la situation. “On pourrait faire comme les Allemands”, justifie Ludovic Bouvier, “quand une usine est menacée, elle est temporairement nationalisée afin de la remettre en état. Ça évite de la vendre à des financiers ou à des groupes étrangers”.

Pousser les pouvoirs publics à se positionner

Les salariés attendent qu'une délégation soit reçu par Xavier Bertrand - Crédits @Débrayage

Les ouvriers de Valdunes font bloc. Jeudi 5 octobre, une quarantaine de salariés se sont retrouvés devant le Conseil Régional des Hauts de France dans l’optique de rencontrer Xavier Bertrand, Président du conseil régional des Hauts-de-France. L’atmosphère est plutôt détendue devant le Conseil régional. Les salariés sont venus montrer leur mécontentement et mettre la pression au Président de la région afin que celui-ci se positionne clairement sur le dossier Valdunes. Ils sont fiers de leur entreprise, de leur travail et veulent continuer d’y travailler. Les Valdunes peuvent compter sur des camarades des usines environnantes qui ont fait le déplacement: “on est là en soutien, parce qu’un jour, ça pourrait être notre tour” confient-ils unanimement. 

Finalement, une petite délégation a été reçue sur les coups de 11h. Dans une lettre adressée à Roland Lescure, Ministre délégué chargé de l’industrie, et rédigée à l’issue de la réunion, M. Bertrand a réaffirmé son soutien aux salariés de Valdunes ainsi que la position de la région sur la situation de l’usine: elle serait prête à suivre financièrement un potentiel repreneur pour sauver Valdunes et ses 340 emplois en s’engageant “à mobiliser les moyens de l’institution”,  “dans le cas où un repreneur sérieux et solide serait prêt à investir et garantir le maintien des emplois sur les deux sites ». 

Le lendemain, vendredi 6, les salariés se sont également retrouvés en fin d’après-midi à Dunkerque, à l’occasion de la réunion du conseil de la communauté urbaine pour se faire entendre. Une délégation a été reçue par Patrice Vergriete, récemment nommé ministre du Logement, toujours dans l’optique de pousser les pouvoirs publics à se positionner.

Le 9 octobre, une nouvelle délégation a été reçue à Matignon. Interrogé sur cette réunion, Maxime Savaux est clair sur les attentes de la CGT vis-à-vis de cette entrevue: “Macron est venu à Dunkerque et a dit qu’il se battrait jusqu’au dernier quart d’heure. On est pas loin du dernier quart d’heure, donc il faut qu’il se positionne”. L’objet de la réunion était également de demander l’organisation d’une table ronde avec l’Etat, les représentants de la SNCF, de la RATP, d’Alstom, et des régions Hauts-de-France et d’Île-de-France dans le but de créer un consortium ferroviaire. 

Un projet désespéré

Le projet d’un consortium SNCF/Alstom, chiffré et porté par la CGT, permettrait de pérenniser l’activité de Valdunes et surtout de répondre aux attentes des ouvriers: Valdunes 100% français. Ce projet aurait du sens en permettant de maîtriser l’ensemble des maillons de la chaîne, depuis la forge des roues et des essieux jusque sur les rails. 

Sur le papier, il garantit la souveraineté industrielle française. Il nécessite au préalable des investissements, chiffrés à 100 millions d’euros sur une période de 3 ans. Le volume de production devrait alors atteindre l’ordre de 100 000 roues et 10 000 axes et essieux en 2027 pour un chiffre d’affaires de 145 millions d’euros, contre 34 000 roues, 3100 axes et essieux et 63 millions de chiffre d’affaires en 2020.

Le problème, dans toute cette histoire, c’est que ni le gouvernement, ni Alstom, ni la SNCF n’ont manifesté un grand intérêt pour ces propositions. Pour le gouvernement, des roues et des essieux sont déjà produits en Europe avec le tchèque Boratrans et l’italien Lucchini qui viennent d’investir dans des forges flambants neuves. En plus, couper l’herbe sous le pied à MA-Steel en nationalisant Valdunes reviendrait à une confrontation directe avec le gouvernement chinois. De leur côté, la SNCF et Alstom ont déjà affiché leur position: ils consentent  à augmenter leur commande à Valdunes, mais pour le moment, pas question d’investir,  Alstom ne représentant que 10% du carnet de commandes de Valdunes et n’a pas la volonté de sortir de son coeur de métier à savoir la construction et l’assemblage de trains.

L’actionnaire chinois laissait jusqu’au 15 octobre à un potentiel repreneur pour déposer un dossier. La table ronde demandée par la CGT se déroulera le jeudi 19 octobre à Bercy afin de présenter le projet en détail et tenter de convaincre l’Etat, Alstom et la SNCF de reprendre Valdunes. Passée cette date et sans repreneur, Valdunes risque le redressement judiciaire et les salariés, un licenciement économique. 

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