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Les femmes au sein des syndicats: où en sommes-nous?

Le 8 mars, journée internationale de la lutte pour les droits des femmes, témoigne de la force de la mobilisation féministe. Chaque année parmi les grévistes, on retrouve de nombreuses revendications liées au travail, notamment la question de l’égalité salariale. Depuis quelques années, les syndicats se sont saisis des questions féministes et intègrent de plus en plus de femmes dans leurs rangs. Cependant, elles demeurent minoritaires. Métiers plus isolés, implication plus grande dans la vie familiale, peur du sexisme sont autant de freins qui peuvent expliquer leur moindre implantation dans le monde syndical.
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Manifestation nationale pour l'égalité salariale - Droits d'auteur : Gustave Deghilage

L’histoire de la syndicalisation féminine

Selon le Ministère du Travail, en 2019 en France 11% des hommes étaient syndiqués contre 9,5% des femmes. Si cet écart s’amoindrit lentement, il est bon de rappeler que la présence de femmes dans les syndicats n’a pas toujours été de soi. 

En effet, elles ont rejoint tardivement le marché du travail. Pendant de longues années, la main-d’œuvre féminine n’était mobilisée que lorsque la présence masculine venait à manquer, notamment en temps de guerre. Ce n’est qu’en 1907 que les femmes mariées ont pu disposer librement de leur salaire et en 1965 qu’elles ont pu travailler sans l’autorisation préalable de leur époux. Dans les années 60, l’activité féminine a connu une croissance spectaculaire.  8 millions de femmes sont entrées sur le marché du travail entre 1960 et 2010, contre 2 millions d’hommes. En France aujourd’hui, il ne demeure que 6,5 points d’écarts entre le taux d’activité féminin et masculin. 

En ce qui a trait au syndicalisme, là aussi les femmes ont eu à combattre des prohibitions législatives. Si elles obtiennent le droit de se syndiquer en même temps que les hommes, en 1884, avec la loi Waldeck Rousseau mais ne peuvent le faire sans l’autorisation de leur époux qu’en 1920. Cependant, ce droit a longtemps été très peu exploité. Au début du 20ème siècle, les femmes ne représentaient que 15% des effectifs syndicaux. De plus, elles étaient reléguées à des tâches subalternes. Ainsi, elles pouvaient être solidaires de leur mari syndiqué, notamment en prenant en charge les tâches domestiques ou en s’occupant de certains travaux relativement éloignés de la mission syndicale en elle-même. Ce n’est que dans les années 70 que les syndicats commencent à se saisir de la cause des femmes, leur permettant ainsi de grossir les rangs. 

Un milieu progressiste, mais pas à l’abri de tout écart

Aujourd’hui, il n’est donc pas rare de rencontrer des femmes syndiquées porter haut et fort leurs revendications. Les raisons qui expliquent leur engagement sont diverses. Catherine, ancienne déléguée syndicale (DS) dans la chimie raconte : « J’ai pris mon premier mandat en 2015, assez tardivement, je pense que c’était lié à la réforme sur la parité. Le secrétaire du CE à l’époque est venu me voir pour que j’intègre en tant que représentant syndical la CGT. J’étais un peu dubitative, je ne savais pas en quoi cela consistait, je n’avais aucune formation et finalement j’ai accepté. Mon entreprise à l’époque devait se faire racheter. Je me suis tout de suite retrouvée dans le grand bain. En octobre 2015 l’entreprise a changé de nom, il y a eu de nouvelles élections syndicales et le DS m’a proposé d’être secrétaire du CE, chose que j’ai acceptée. J’ai fait ça pendant 4 ans. En 2020 je suis moi-même passée DS et j’ai repris en main l’équipe. Puis peu de temps après ma nomination : plan social avec fermeture d’usine à la clé, donc j’ai été servi. Sur le site on était 4 syndicats. Au bout de deux mois [d’intersyndical] il y a eu une séparation car un DS ne voulait pas parler avec une femme. C’était un des points bloquant. »

Evelyne aussi s’est engagée au cours de sa carrière : « Il y a eu une action collective aux prud’hommes, en 2002 je crois, et comme j’ai participé à cette action, j’ai été mise au placard au retour de mon congé maternité. A la suite de cela, j’ai été désigné membre du CHSCT. Voilà comment je suis arrivée élue à la CGT. Puis j’ai été élu au comité d’entreprise et au comité central d’entreprise. Les patrons méritent leurs syndicalistes, ils font tout pour qu’on se rebelle, on n’a pas le droit de réclamer son dû et on est mis au placard. Cela a été un élément déclencheur qui a fait que je me suis plus impliquée syndicalement. »

Pour Mélanie, le syndicalisme apparaissait presque comme une vocation : « Cela fait maintenant une petite vingtaine d’années que je suis syndiquée et pour moi le syndicalisme c’est important et il a une mauvaise image. Je voulais relever le niveau dans mon entreprise, ajouter du sang neuf pour défendre les salariés. J’ai passé 15 ans là-bas et au moment d’avoir une promotion je ne l’ai pas eu car j’étais syndiquée. Je suis partie à la concurrence depuis 5 ans. Je continue de payer ma cotisation syndicale, je suis toujours syndiquée mais mon employeur n’est pas au courant, je ne participe pas activement, ça m’a refroidi. »

Si le taux de femmes dans le milieu syndical est en augmentation, il faut aussi se questionner sur leur intégration dans un monde qui est, par essence, plus masculin. Pour Catherine : « Dans l’équipe, je n’ai pas vu de difficultés particulières par rapport au fait que je sois une femme, l’équilibre se faisait. Chacun a trouvé sa place, je ne pense pas que cela soit lié à homme ou femme mais plus à une question de personnalité. Avec le patronat, au démarrage, le fait que vous soyez une femme laisse penser que vous allez être plus douce, plus tendre, moins dure, moi ce n’était pas cela et ils l’ont vite compris. Sans mentir ce n’est pas facile de se faire une place quand on est une femme, quand on vous voit arriver sur les piquets de grève, la première réflexion c’est « Le délégué syndical, il est où ? ». Pour aborder l’industrie il faut avoir un caractère bien trempé sinon on se prend des remarques sexistes, moi, ils ont tenté et ils ont très vite été recadrés. »

Le constat est presque identique pour Evelyne : « Dans l’usine avec les salariés, je me sentais écoutée mais moins au sein de l’équipe. On était 35 élus à la CGT, il y avait des « Pourquoi elle la ramène encore, elle a toujours quelque chose à dire » et comme j’étais la seule femme cela était encore plus présent. Ce n’était pas la majorité mais quelques-uns qui avaient cette culture-là de la femme qui reste dans son coin et qui écoute. Je n’ai pas eu à souffrir de sexisme lors de mes activités syndicales, à part ces quelques exemples. J’ai mis les points sur les i dès que je suis arrivée, j’ai dit que je ne ferais pas le café, je ne passerais pas le balais. Je ne suis pas là pour faire jolie ».  

Mélanie quant à elle, reconnait avoir eu des expériences très positives au sein du syndicat, et ne pas s’être sentie stigmatisée par ses pairs : « Je n’ai pas eu à faire à ce genre de personne. Il y a un gros respect vis-à-vis des femmes. C’est ce que j’ai ressenti même au moment de la formation. Avec le patronat un peu, j’avais l’impression d’avoir moins de crédit que mon collègue qui était à côté. Mais au sein du syndicat même non. Il y a une ouverture d’esprit qui est bien là, et que je pensais qui n’existait plus justement. Pour moi ce sont des convictions, c’est une façon de penser, je referais la même chose aujourd’hui, même en sachant que je n’ai pas pu obtenir ce que je voulais »

Cent ans et pourtant…

Cela fait donc aujourd’hui plus de 100 ans que les femmes peuvent librement intégrer le milieu syndical, cependant elles restent peu nombreuses à le faire. 

Plusieurs raisons peuvent expliquer cet engagement moindre. Dans un premier temps, elles ne sont pas présentes dans les mêmes corps de métiers que les hommes. En effet, les femmes sont bien plus nombreuses dans le secteur tertiaire (87,5% des femmes contre 65% des hommes) et sont majoritairement présentes dans les emplois en lien avec le service, comme les soins de santé, les services sociaux, la vente au détail ou encore l’enseignement. Or, ces métiers ne sont pas ceux dans lesquels la syndicalisation est la plus présente. Raisons historiques ou un entre-soi plus important peuvent expliquer pourquoi certaines branches semblent plus propices à l’engagement syndical masculin. 

Autre difficulté, le travail à temps partiel. Selon la Dares, en 2022, plus d’une femme sur quatre travaille à temps partiel (26,7 %) contre moins d’un homme sur dix (7,5 %). Ces travailleuses se retrouvent forcément moins impliquées dans la vie de l’entreprise, par choix ou par contrainte, et sont moins en lien avec les syndicats et avec la possibilité d’effectuer un mandat. 

De plus, les femmes disposent d’une contrainte de temps plus importante. Encore aujourd’hui, la grande majorité des tâches familiales et domestiques sont assumées par ces dernières. Ainsi, elles doivent pouvoir conjuguer leur vie personnelle, professionnelle et leurs activités syndicales. Une triple journée de travail qui n’a rien d’aisé, d’autant plus lors des périodes de grèves ou de négociations intenses avec les entreprises. C’est notamment ce que souligne Catherine : « Pendant le plan social, c’était plus compliqué, je pouvais passer douze heures sur le piquet de grève, je ne voyais plus trop ma famille. J’emmenais même ma fille le week-end faire ses devoirs avec moi. » Une situation qu’elle a pu surmonter grâce à la présence de son mari : « Tout dépend de votre situation, tout dépend du conjoint, s’il est plutôt ancienne version ou pas. Moi j’ai eu la chance d’avoir un mari qui a pris le relai même si parfois c’était lourd pour lui, c’est vrai que parfois il grinçait des dents quand le téléphone sonnait à 21h. C’était très intrusif. Il était d’accord sur le principe qu’on ne pouvait pas se laisser faire, qu’il fallait tout mettre en place pour résister un maximum quant à cette fermeture. Effectivement, une surcharge cela pose difficulté, mais j’ai presque envie de dire homme ou femme. »
Evelyne, elle aussi a rencontré des difficultés à conjuguer vie personnelle et syndicale : « Les activités syndicales prenaient presque la totalité de mon temps. Comme j’étais au CHSCT et qu’il y avait en moyenne un accident du travail par jour, il y avait énormément à faire. Joindre vie privée et syndicale a été compliqué, je suis arrivée en 2003 et à partir de 2007 la lutte contre la fermeture a commencé jusqu’en 2014. Cela m’a pris tout mon temps, de l’énergie, c’était terrible. Pour moi, la complication première [ndlr: de la syndicalisation des femmes] est de jongler entre la vie privée et syndicale. C’est ça le premier frein qui n’existe pas chez les hommes car ils font ce qu’ils veulent et que la femme pourra toujours s’occuper du foyer. »

Enfin, il est également plus difficile pour les femmes de pouvoir accéder à des postes à responsabilité. Bien que depuis quelques années les syndicats s’engagent dans la recherche de parité, certaines contraintes demeurent. Ainsi, les candidates sont moins nombreuses, moins disponibles, d’autant plus que les activités syndicales sont de plus en plus dévorantes pour les représentants du personnel. Il faut alors pouvoir externaliser les charges parentales et domestiques, ce qui représente un coût que certaines familles ne peuvent avancer. Preuve en est, rares sont les femmes qui prennent la tête de syndicats. Si l’année 2023 a vu Sophie Binet succéder à Philippe Martinez en mars et Marylise Léon élue secrétaire générale de la CFDT en juin, la cégétiste demeure la seule femme élue à ce poste dans une organisation qui existe depuis plus de 120 ans. 

Des nouvelles encourageantes mais qui témoignent également des progrès qui restent à accomplir pour rendre le milieu syndical encore plus inclusif. D’autant plus lorsque l’on sait que des mobilisations largement féminines ont pu obtenir des victoires marquantes. Ce fut notamment le cas des syndicalistes de l’enseigne Vertbaudet ayant lutté pendant deux mois pour une augmentation de salaires ou encore des femmes de chambre de l’Ibis les Batignolles, ayant obtenu après deux ans de combat de meilleures conditions de travail. 

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