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L’emploi des seniors : même pas besoin de traverser la rue !

Nathalie B.

Nathalie B.

Nathalie B., 57 ans, actuellement en contrat senior pour le compte "SNCF voyageurs". 

Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule. Cet été, vous ne serez pas sur les plages de France et de Navarre parmi ces retraités accrochés à leur serviette comme des berniques à leurs rochers ; profitant de l’air iodé et des petits-enfants jamais rassasiés de leurs pépitos fondus au fond de la glacière qu’ils engloutiront avec une poignée de sable. La cinquantaine bien entamée, fièrement atteinte après des décennies de labeur, le gouvernement a un plan pour que vous échappiez au tourisme de masse avec vos petits-enfants rois. Et ce n’est pas que le report de la retraite à 64 ans. Ça, c’est la première bonne nouvelle.

La seconde est que si vous n’êtes malheureusement plus en emploi aux alentours de cet âge-là, vous n’aurez même pas besoin de traverser la rue ! Comment ça ? Vous qui avez écumé tous les ateliers proposés par le pôle emploi, coaching CV avec photos retouchées, lettres de motivation percutantes reprenant les compétences transversales que vous aurez définis en amont avec des spécialistes du « retour à l’emploi senior », car vos diplômes du début des années 80 ne parlent à aucun recruteurs. Quant à vos expériences professionnelles d’avant le digital, c’est du domaine extra-terrestre. Je salue chaleureusement ceux qui, comme moi, ont un diplôme de télexiste international. Autant dire que vous êtes un petit bonhomme vert bien avant que cette couleur ne soit associée aux pictogrammes des paquets de nouilles.

Bien sûr, vous avez passé en revue tous les sites ayant attrait à l’emploi, envoyé des centaines de candidatures spontanées. Vous vous êtes présenté sous votre meilleur jour directement dans les entreprises dans l’espoir vain de décrocher un entretien. Mais il faut se rendre à l’évidence : vos soft skills ne suffisent pas. Même le salon de l’emploi organisé à l’espace culturel de votre région, que vous avez pourtant arpenté pendant plusieurs heures, n’a rien changé au fait que vous n’ayez pas la formation adéquate. Vous comprendrez bien que ce n’est pas à presque soixante ans qu’une entreprise va investir sur votre personne. D’autant que vous ne maîtrisez même pas le pack-office ! C’est vrai qu’à l’entrée du salon, où s’agglutinaient tous les demandeurs d’emploi avant l’ouverture, on aurait pu se croire au rendez-vous du troisième âge pour le caravaning. Cheveux grisonnants, appareils auditifs, lunettes doubles foyers, certains appuyés sur une canne trépieds, on avait peine à croire que tous ces gens se pressaient pour trouver un emploi.

Alors, intervient le contrat senior, réservé aux entreprises du secteur privé sous conditions. Vous consultez les modalités d’éligibilité et là, devant vous, c’est comme si au fur et à mesure que vous lisiez les conditions requises, les numéros du loto gagnant s’affichaient sur votre écran de télévision :

– vous avez plus de 57 ans,

– vous avez plus de trois mois chômage (pas difficile à cet âge-là),

– vous ne validez pas vos trimestres de retraite (comme beaucoup de femmes). (1)

BINGO ! Vous cochez toutes les cases. Vous allez décrocher un entretien !

Vous êtes confiant. Grâce à une association de chômeurs composée de bénévoles, d’une RH avec 30 ans d’expérience dans le métier, un ancien polytechnicien… Vous êtes paré à avoir réponse à toutes questions. Les recruteurs sont heureux de vous recevoir. Il faut dire que vous n’allez rien leur coûter, ou presque, avec l’exonération des cotisations patronales d’assurances sociales (2). Ils vous proposeront un contrat à durée déterminée de 6 mois renouvelable. Cela veut dire 6 mois de période d’essai sous pression, cela va de soi. Grâce à ce tout nouveau contrat signé pour le compte de « SNCF voyageurs » (3), aucun agent d’Etat ne sera recruté ! 

Le secteur privé est friand des contrats seniors, et c’est bien-là le désidérata au plus haut niveau de l’Etat. Ce n’est pas pour vous sauver de la précarité ou de l’isolement social, des mots « valises » pour ces hauts-fonctionnaires, qui ne contiennent rien de substantiel ; mais à leur décharge, il faut savoir qu’ils ont des porte-serviettes pour transporter celles-ci. Vous aussi, vous êtes heureux. Vous allez renouer avec ce monde mirifique du travail à un âge canonique !

Vous êtes enthousiaste, pétillant, prêt pour l’entretien qui a hanté vos nuits et vos jours. La première question est toutefois déconcertante. L’échange tourne à votre grande surprise à la visite médicale : – « vous n’avez pas de problème de vue ? Vous vous sentez en forme pour un poste d’accueil assis/debout ? D’accompagnement physique de personne à mobilité réduite ? » Naturellement, vous omettez surtout de dire que vous possédez une reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH) comme 2,7 millions de personnes en âge de travailler (4).

Mais tant pis si l’entretien ne ressemblait pas au questionnaire de Proust. Vous allez être embauché et déjà, vous allez rencontrer vos futurs collègues. On vous présente, certes, mais accrochez-vous à vous accoudoirs : comme « le contrat senior », d’ailleurs, très vite, vous apprenez que votre prénom c’est « contrat » et votre nom « senior ». Vous ressentez que vous ne serez pas un employé recruté par voie classique. Vous lisez dans les yeux des collègues qui vous tendent la main pour vous saluer : « contrat senior ! ohlala ! boulet de l’informatique ! ». Dans les yeux d’un autre : « ça veut dire qu’elle a au moins 57 ans… donc qu’elle est plus vieille que ma mère  ? ». Et, sincèrement, qui a envie de travailler avec sa mère ?

Aussi, ne croyez pas que contrat senior rime, au vu de son nom, avec adaptabilité sur le poste, que nenni ! A vous le travail physique en pleine chaleur et l’embauche à potron-minet ! Les plus jeunes, c’est bien connu, s’acclimatent mieux aux bureaux tempérés des salles informatiques et à la prise de poste à 9h30 pour ce qui est de la machine à café. Et puis, à vous de prouver, vous qui voulez travailler, votre motivation sur un poste que même les moins de 30 ans ont du mal à tenir.

A défaut de traverser la rue tout seul, on est venu vous prendre par la main pour renforcer la mise en place d’emplois précaires et mettre fin, si ce n’était déjà pas le cas, à tout emploi stable pouvant exister. 

Nathalie B.*, 57 ans, actuellement en contrat senior pour le compte « SNCF voyageurs ». 

*Le prénom a été modifié.


(1) Pour information, en 2022, 26,7 % des femmes salariées sont à temps partiel dans leur emploi principal. Il concerne plus d’une femme sur quatre, contre moins d’un homme sur dix ! (source : Dares, service statistique ministériel).

(2) L’avantage pour l’employeur est également qu’il n’y a pas d’obligation de préciser le motif de recours à ce type de CDD, ni de délai de carence à respecter.

(3)  Entreprise ferroviaire française, société anonyme à capitaux publics, filiale de la SNCF.

(4) Chiffres Pôle emploi, 2021.

Nathalie B.

Nathalie B.

Nathalie B., 57 ans, actuellement en contrat senior pour le compte "SNCF voyageurs".