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Crise du logement chez les jeunes : droit dans le mur

Se loger à prix abordable est devenu un casse-tête en France, particulièrement pour la jeunesse. Confrontée à un double phénomène de précarisation et de hausse des loyers, dans le parc social comme dans le parc privé, elle doit redoubler d’effort pour trouver un toit. Alors que les acteurs associatifs du secteur réclament plus de moyens, l’absence de politiques publiques sur le long terme n’invite pas à l’optimisme. Pourtant, les solutions sont là, il ne manque que la volonté politique pour les mettre en place.
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vue-sur-paris

Franchement c’était déprimant”, ces mots résument le sentiment d’une grande partie de la jeunesse lorsqu’il s’agit de trouver un toit. Avec une offre complètement saturée dans le parc social tout comme dans le parc locatif privé, se loger ressemble aujourd’hui à un parcours du combattant pour les 18-29 ans, qui représentent 14% de la population française. Parmi eux, des étudiants mais pas que : “un jeune sur deux à 21 ans n’est pas étudiant, il est au travail, en recherche d’emploi ou apprenti”, explique Marianne Auffret, directrice générale de l’UNHAJ (Union nationale pour l’Habitat des Jeunes). Si la situation a toujours été compliquée, elle a empiré depuis quelques années avec un double constat : d’une part, la précarisation des publics jeunes augmente, un constat en partie attribué à la réforme des APL entrée en vigueur en 2021. L’effet s’est avéré particulièrement dévastateur pour les jeunes actifs, qui ont perdu en moyenne 95€ de revenus mensuels en 2021. “Il y a eu aussi la réforme de l’assurance chômage qui a participé à cet effet de précarisation.” ajoute Marianne Auffret. En parallèle, l’offre de logement abordable se raréfie alors que les prix du parc locatif sont tirés vers le haut années après années. Depuis 2000, les prix de l’immobilier ont augmenté quatre fois plus vite que les revenus des ménages, d’après le rapport Corceiro – Lioger sur le logement. À Paris, le cœur de cette bulle qui concentre 26 % de la population estudiantine, l’augmentation atteint le niveau impressionnant de 350%.

Mécaniquement, la part des dépenses des jeunes dans le logement, le “taux d’effort”, augmente : il atteint jusqu’à 70% pour certains d’entre eux. Cette dépense, incompressible, s’effectue au détriment de celles de la vie quotidienne, comme l’alimentation : on peut sauter un repas mais on doit payer son loyer tous les mois. La hausse de la précarité associée à la raréfaction de l’offre abordable entraîne également une saturation du logement social. Les places en foyer de jeunes travailleurs (FJT) ou en Crous sont chères, voire introuvables à Paris, ou dans des métropoles comme Lyon, Rennes. Les démarches doivent être anticipées au maximum pour espérer en obtenir une, une option parfois impossible. Lola, étudiante rennaise boursière à l’échelon 4, en témoigne : “entre le moment où je me suis rendu compte que je n’irai pas en master dans une autre ville et que je n’étais acceptée qu’à Rennes, c’était super tard, je crois que c’était mi-juillet”. Impossible pour elle de trouver une place en quelques semaines, qui plus est en période de fermeture estivale du Crous. Après avoir été hébergée pendant plusieurs semaines “à droite, à gauche”, elle a finalement obtenu une chambre Crous “sur un coup de chance” courant septembre. Ce problème de temporalité fait que beaucoup de jeunes ne peuvent pas se loger dans le parc social : “quand on a son affectation dans l’été pour la rentrée, avoir un logement social c’est compliqué”, regrette Sarah Biche, vice-présidente chargée des affaires sociales à la FAGE (Fédération des Associations Générales Étudiantes). En conséquence, 72,3% des moins de 25 ans et 54,9% des 25 – 29 ans doivent trouver un toit dans le parc locatif privé, d’après une étude publiée par The Conversation.

S’y loger n’est pourtant pas plus aisé. Lise, étudiante à Rennes 2 depuis septembre, en a fait la cruelle expérience : “il n’y avait vraiment rien”, “on a fait sans doute 30 agences dans la même journée […], les agences nous disaient “ça n’est pas la peine de regarder les devantures, tout est loué”. Même son de cloche pour les recherches en ligne sur les applications Leboncoin et Jinka, sur lesquelles elle passait alors plus de temps qu’Instagram et autres réseaux sociaux : “j’enregistrais un appartement et ça partait dans la minute”. Faute d’alternatives, elle obtient mi septembre un appartement disponible … le 30 novembre. En attendant, elle trouve une solution de repli, une chambre chez l’habitant à la Chapelle-des-Fougeretz, à 15 mins de la fac de Rennes 2. L’hôte “était consciente de ce qui se passait en termes de crise du logement. C’est une des raisons pour laquelle elle s’est mise à faire ça”, se remémore Lise, “j’ai beaucoup de chance, cela s’est très très bien passé, mais malgré tout, ça n’était pas chez moi”. L’étudiante, qui a emménagé depuis deux semaines,  est consciente qu’elle fait partie de celles et ceux qui, théoriquement, n’ont pas de difficulté à se loger : “J’ai beaucoup de chance parce que mes deux parents pouvaient se porter garants”, “ce n’est même plus une histoire de bon ou de mauvais dossier, c’est qu’il n’y a rien, rien, rien !” À Rennes, on compte près de cinq demandes pour une offre, un constat qui a poussé certains à opter pour des solutions originales. D’où l’importance pour Franck Rolland, co-fondateur du CNHP (Collectif national des habitants permanents), de travailler à des solutions pour  désengorger le parc locatif privé : “en apportant une solution à la classe moyenne des jeunes, les non boursiers, ça va permettre de re-prioriser le parc social pour les boursiers.

Pour un certain nombre de jeunes actifs, la hausse des prix du parc locatif privé l’a de fait rendu complètement inaccessible. Marianne Auffret confirme : “on a des foyers de jeunes travailleurs dans les zones touristiques comme au Pays basque, en Bretagne ou sur la Côte d’Azur, on voit très bien qu’on accueille des jeunes travailleurs qui ne peuvent pas se loger dans le lieu où ils travaillent, mais pas du tout ! Ce n’est pas une petite marche à franchir, c’est juste hors de portée !”. Conséquence : les jeunes actifs restent plus longtemps dans les foyers de jeunes travailleurs, pourtant conçus pour être des tremplins vers le logement autonome. Dans les foyers Habitat Jeunes, “on a pu voir dans les deux – trois dernières années, un allongement très significatif du temps de séjour […]. On est passé de 6 mois et demi [en moyenne] à 11 mois en 3 ans.”. Une tendance confirmée par le rapport d’observatoire publiée en novembre 2023 par Habitat Jeunes Île-de-France : en 2022, 36% des jeunes restaient un an ou moins en FJT, contre 52% en 2012”, peut-on lire dans le rapport, qui affirme que “les conditions d’accès au parc de logement social et privé se dégradent et impactent la capacité des jeunes à sortir du FJT.

Des politiques publiques décevantes

Face à la situation, les associations qui luttent contre le mal logement chez les jeunes ont de fortes attentes envers le gouvernement, attentes souvent déçues au cours des derniers mois. Il faut dire que la question est à l’intersection de multiples politiques publiques, la jeunesse et le logement en premier lieu, mais aussi l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, l’emploi saisonnier, la précarité, etc… D’où la difficulté à identifier un interlocuteur clair pour les organisations : “c’est absolument illisible. On a à la fois un secrétariat d’État à la jeunesse, un délégué interministériel à la jeunesse, […] le directeur de la DJEPVA  [direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, ndlr], […] et là ils veulent monter pour 2024 un comité interministériel à la jeunesse et un délégué ministériel au logement étudiant”, regrette Marianne Auffret, “on se demande qui est le pilote dans l’avion”. Concernant les revendications, elles sont nombreuses, à commencer par la concrétisation des promesses du premier quinquennat Macron. “Nous construirons 80 000 logements pour les jeunes : 60 000 logements pour les étudiants et 20 000 logements pour les jeunes actifs”, martelait-il pendant sa campagne en 2017. Une moitié seulement est sortie de terre à l’heure actuelle. Élisabeth Borne a annoncé le 16 novembre la volonté du gouvernement de construire 35 000 logements étudiants supplémentaires, ce qui permettrait d’arriver à l’objectif formulé en 2018, au bout de deux mandats. “On a un gouvernement qui se félicite presque d’avoir atteint l’objectif à 50% alors que c’était pour 2022. Ce ne sont pas des signaux rassurants”, constate Sarah Biche. 

L’objectif de construction pour les jeunes actifs semble lui avoir été évacué, ou plutôt transféré dans le deuxième volet du plan Logement d’abord, annoncé à l’été et qui vise les publics très précaires. Celui-ci a pour objectif la construction de 25 000 résidences sociales, dont une partie non chiffrée qui serait des foyers jeunes travailleurs. “Mais, ça ce sont des objectifs fixés, ce qu’on réclame depuis que le plan est sorti à l’été, c’est [de savoir] les outils dont on va se doter, associations comme État, pour arriver à produire ces logements”, décrypte Marianne Auffret. Pour l’heure, les résidences sociales, dont les FJT, devraient tout de même bénéficier d’une augmentation de l’AGLS (allocation de gestion locative sociale), bien que le montant exact de l’augmentation n’ait pas encore été communiqué.  

Côté associations étudiantes, il y a plusieurs chantiers, à commencer par le fait d’avoir une vraie politique territoriale du logement étudiant, au cas-par-cas. Il s’agit “d’identifier des zones prioritaires pour faire du parc social pour les étudiants autour des établissements d’enseignement supérieur”, détaille Sarah Biche. Une politique qui doit s’accompagner pour la FAGE du développement d’une offre de mobilité des couronnes périurbaines vers les établissements d’enseignement supérieur. De manière beaucoup plus urgente, il y a le fait “d’avoir une vraie mesure d’aide sociale d’urgence qui permette de loger ces étudiants et de mieux les accompagner” recommande l’élue de la FAGE, une mesure qui pourrait passer par une revalorisation des APL. À plus long terme, la fédération porte une réforme structurelle des bourses depuis déjà deux décennies. Celle-ci vise à permettre de changer de vision par rapport à ce qu’est un étudiant, en calculant la bourse non pas par rapport aux revenus des parents, mais par rapport aux ressources propres des jeunes. Chaque étudiant ferait ainsi sa propre déclaration fiscale en rentrant dans l’enseignement supérieur, une mesure d’émancipation. Cette réforme, si elle était mise en place, rendrait le dispositif boursier quasiment universel, une caractéristique assumée par les associations qui portent la réforme : “l’État a un devoir de subvenir aux besoins et de donner les conditions de réussite académique à ses étudiants”. 

Mais sans une réelle volonté politique, la réforme a très peu de chances de voir le jour. Malgré tout, une réforme de la bourse a été mise en place à la rentrée 2023, caractérisée par une augmentation de 37€ pour tous les échelons. Une “mesurette politique avec des chiffres phares pour donner l’impression d’une action” selon Sarah Biche. Elle compense “à peine les augmentations qui ont été induites directement par l’inflation [comme l’indexation de la cotisation CVEC sur l’inflation et l’augmentation des charges locatives du Crous, ndlr]”. Les annonces se font toujours attendre, avec un espoir initial d’avoir une réforme des bourses structurelles pour la rentrée 2024, finalement reporté à la rentrée 2025. “On n’a pas encore de cadre actuellement, on ne sait pas quelle forme va prendre cette réforme” indique l’élue de la FAGE.

L'échec de la régulation de la location à courte durée

Autre sujet brûlant, les plateformes de location à courte durée (LCD), notamment la plus célèbre d’entre elles, Airbnb. Elles sont accusées depuis de nombreuses années de saper l’offre de logement pour les jeunes et de tirer les prix à la hausse. “Les bien mis en location à courte durée, de petite surface, sont aussi ceux recherchés par les étudiants et les jeunes actifs” explique Franck Rolland du CNHP. L’essor des meublés touristiques en France est accusé de renforcer la crise du logement. En cause, une niche fiscale permettant aux propriétaires louant un bien en LCD de disposer d’abattements sur l’impôt allant de 50 à 71%. Ce dispositif incitatif a eu pour conséquence le passage en LCD d’un grand nombre de biens dans les centres villes des métropoles et zones touristiques, notamment sur le littoral. Un projet de loi porté par les députées Annaïg Le Meur (Renaissance) et Iñaki Echaniz (PS) visait à réguler ces meublés touristiques, en ramenant cet abattement à 30%, soit celui des locations classiques de longue durée. L’examen du texte à l’Assemblée nationale le 6 décembre dernier n’a pu aboutir. Il sera de retour dans l’hémicycle au début de l’année 2024, probablement en janvier ou février. C’est la deuxième fois que l’examen du projet de loi, qui a fait l’objet d’un intense lobbying de la part d’Airbnb, est reporté.

La lenteur de la procédure agace au plus haut point les acteurs associatifs, alors même que la régulation des plateformes LCD fait consensus dans le secteur du logement : “quand il y a eu la plénière de rendu du CNR [le Conseil national de la refondation Logement s’est tenu en juin 2023, ndlr], il y avait quelques points sur lesquels tout le monde était d’accord, comme sur le fait qu’il allait falloir réguler les plateformes de location”, “même celles-là n’ont pas été saisies pour avancer vite” tempête Marianne Auffret. Elle aussi regrette l’absence d’une véritable vision à long terme pour loger les jeunes en France : “peut-être que nos responsables associent la question du long terme à quelque chose qui n’existe pas vraiment. Or, on a vraiment des résultats, […] ce sont des pratiques d’émancipation qui fonctionnent, qui font que les gens vont mieux, s’insèrent mieux, ils supportent mieux leur voisin. C’est important de resituer ça dans une technique, on n’est pas juste des doux rêveurs.”

Le logement, pas seulement l'enjeu du toit

Le 5 décembre, l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) rendait un rapport inquiétant sur l’explosion du nombre de logements inoccupés dans la capitale, qui représentaient près d’⅕ des habitations contre 14 % en 2011. Parmi ces logis vacants, le taux de résidences secondaires ou occasionnelles a grimpé en flèche ces dernières années, passant de 3 % dans les années 1970, à moins de 7 % en 2011 puis à 10 % en 2020. Les propriétaires des résidences secondaires, pour 20 % d’entre eux, habitent à l’étranger d’après l’APUR. L’étude met le doigt sur un phénomène délétère en termes de logement, mais qui induit à terme un problème global d’urbanisme : “Ces villes vides […], ce sont des villes propices à un sentiment d’insécurité, à la dégradation parce que les gens n’y vivent que quelques semaines de l’année”, développe Marianne Auffret.

Les acteurs associatifs du secteur commencent à se saisir du problème du logement vacant, et du potentiel que représente ces milliers d’habitations vides. Au sein de la toute récente “Coalition pour le logement des jeunes”, c’est une thématique récurrente avec pour ambition de développer le logement intergénérationnel dans des habitations trop grandes afin d’y accueillir des jeunes, une ambition partagée par Franck Rolland du CNHP. Le dispositif “souffre encore à l’heure actuelle de pas mal de craintes et de préjugés qui mériteraient d’être déconstruits”, avance Sarah Biche. Pourtant, le logement intergénérationnel permet à la fois d’offrir un toit à des jeunes qui n’en trouvent pas, mais aussi et surtout de mettre en place un véritable projet social et solidaire. C’est d’ailleurs ce que préconise la plupart des acteurs : ne pas voir simplement l’aspect pragmatique du logement mais comme faisant partie intégrante d’un projet de société : “le logement n’est qu’un appui pour mettre en place un projet politique et social qui est celui de l’émancipation de la jeunesse”, “à travers le brassage des différentes jeunesses […], on préfigure et on encourage à la socialisation, à la rencontre d’autres que soi”, témoigne la directrice générale de l’UNHAJ, qui ajoute : “c’est un projet de socialisation”. D’où l’importance d’avoir un encadrement et un véritable accompagnement soco-éducatif comme c’est le cas dans les foyers de jeunes travailleurs.

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